Ce 3 octobre 2025, le grand-duc Henri abdique en faveur de son fils Guillaume. Guillaume devient donc l’unique grand-duc régnant au monde. Son père garde le titre en tant qu’ancien chef d’État et d’autres membres d’anciennes familles royales portent ce titre par courtoisie mais le grand-duché de Luxembourg est le seul État souverain ayant cette dénomination. Pourquoi un Grand-Duc et non un Prince ou un Roi ?
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1000 ans d’histoire au Luxembourg
À l’exception des sultanats et émirats dans les pays musulmans, des principautés d’Andorre, de Monaco et de Liechtenstein et d’un empereur qui règne au Japon, toutes les autres monarchies subsistantes dans le monde sont des royaumes. Par le passé, d’autres entités souveraines plus petites ou vassales d’entités souveraines, étaient des duchés, des comtés et même des marquisats ou des baronnies. Le Luxembourg fait aujourd’hui exception, étant le seul pays au monde où le chef de l’État est un Grand-Duc.

Le titre attribué au monarque dépend d’une succession de décisions politiques, de faits historiques et de coutumes régionales. Pour schématiser, à l’époque féodale, un châtelain devenait seigneur et exerçait un certain pouvoir sur la population installée autour de son château. Au fil du temps, par ses mérites militaires, l’expansion de son territoire, ses accointances avec le roi ou d’autres raisons politiques, le seigneur obtenait un titre supérieur, comme celui de baron. Au fil des générations, et au fur et à mesure que ses descendants continuent à étendre leur pouvoir, ceux-ci deviennent comtes, ducs ou encore princes.

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Le mot Luxembourg (Lucilinburhuc, ce qui signifie « petit château ») apparaît dans un document pour la première fois en 963, mentionnant un certain Sigefroy, dont la filiation présumée le rattache à une famille comtale. Ce document indique que Sigefroy échangea les terres qu’il possédait à Feulun, dans les Ardennes, contre le « Bock » et le petit château (Lucilinburhuc) qui s’y trouvait. Le mot Lucilinburhuc symbolise à lui seul ce trait d’union entre la culture germanique et la culture latine qui existe encore aujourd’hui au Luxembourg. Lucilin signife « petit » en latin et « burh » est un dérivé du mot germanique pour dire château. Le Bock est un promontoire de falaises dominant l’Alzette, où se situe aujourd’hui le centre de la ville de Luxembourg. Le titre de comte de Luxembourg fera son apparition en 1059 et Guillaume 1er, un descendant de Sigefroy, fera usage pour la première fois du titre de comte de Luxembourg dans un document à la fin du 11e siècle. Au fil des mariages, des héritages, des achats et des conflits, la famille a acquis plusieurs domaines, terrains et abbayes formant peu à peu les frontières d’un territoire allant de la Meuse à la Moselle.
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L’ascension de la famille de Luxembourg après l’élection d’un des leurs comme empereur
En 1136, Conrad II meurt sans descendant mâle et la première lignée de la famille de Luxembourg s’éteint. L’empereur Lothaire II désigne un fils du comte de Namur pour régner sur le comté de Luxembourg. En 1197, Ermesinde de Luxembourg, épouse de Waléran de Limbourg, devient comtesse de Luxembourg. À sa mort en 1247, son fils Henri V lui succède en tant que premier souverain luxembourgeois de la dynastie de Limbourg. En 1308, le destin de la famille de Luxembourg bascule lorsque le comte Henri VII, petit-fils d’Henri V, est élu roi des Romains, titre accordé au futur empereur jusqu’à son couronnement. Le couronnement d’Henri VII en tant qu’empereur a lieu le 29 juin 1312 et il cède le trône comtal à son fils. La famille de Luxembourg a occupé la fonction impériale jusqu’en 1437.

En 1354, l’empereur Charles IV élève le comté de Luxembourg au rang de duché. À partir de 1419, durant le règne du duc Venceslas II, les ducs titulaires mettront leur duché en gage, ce qui signifie qu’il le prête en échange d’argent. La souveraineté du duc titulaire sur le Luxembourg sera donc affaiblie. En 1430, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, achète le Luxembourg. Le duché de Luxembourg suivra ensuite l’histoire mouvementée des ducs de Bourgogne. En 1482, à la mort de Marie de Bourgogne, épouse de Maximilien de Habsbourg, le titre de duc de Bourgogne est transmis à son fils, Philippe II, premier duc de Bourgogne de la dynastie habsbourgeoise. Les Habsbourg ont collecté les titres par mariage, puisqu’ils sont duc de Bourgogne, comte de Flandre, comte d’Artois, duc de Brabant, duc de Limbourg, comte de Hollande, comte de Zélande, comte de Hainaut et duc de Luxembourg. Les Habsbourg contrôlent donc l’ensemble des territoires des Pays-Bas de l’époque, soit tout le Benelux actuel.
Des Habsbourg aux Orange-Nassau
Les Habsbourg, qui sont archiducs d’Autriche en plus de la myriade de titres, dont celui de duc de Luxembourg, deviendront rois d’Espagne à partir de Charles Quint en 1516. Leurs duchés et comtés situés dans les Pays-Bas seront administrés par des proches ou d’autres membres de la famille qui agiront localement en tant que gouverneurs, bien que le roi reste le duc titulaire. Le duché de Luxembourg, en tant que possession des Habsbourg, a existé jusqu’à la révolution française. Le duché de Luxembourg est occupé par la France à partir de 1792 puis annexé à la France en 1795. L’ancien duché de Luxembourg devient le département des Forêts de la République française et le reste durant la période napoléonienne.

En 1814, à la chute de l’Empire français, l’Europe doit redéfinir ses frontières. Les grandes puissances se réunissent pour négocier le découpage des nouveaux États. Les négociations ont lieu lors du Congrès de Vienne, en 1815. Pour contrer toute récidive expansionniste de la France, un État tampon est formé avec le royaume uni des Pays-Bas. Le duché de Luxembourg retrouve son indépendance, sous la forme d’un grand-duché, mais un statut particulier lui est accordé. Le grand-duché de Luxembourg devient membre de la Confédération germanique, tout en devenant d’un point de vue dynastique l’union personnelle du roi des Pays-Bas. Le royaume uni des Pays-Bas, tel que défini par lors du Congrès de Vienne, occupait les Pays-Bas du Nord et ceux du Sud, soit la Belgique actuelle. Offrir le Luxembourg au roi des Pays-Bas, appartenant à la dynastie d’Orange-Nassau, avait pour but de compenser les pertes du monarque qui avait concédé certains de ses territoires à la Prusse.

Il n’existe pas d’explication exacte concernant le choix de restaurer le duché de Luxembourg sous forme de grand-duché mais on peut y trouver plusieurs raisons. On peut simplement constater la volonté de fonder un pays indépendant qui résisterait aux pressions de ses voisins. Probablement qu’un grand-duché avait plus de prestige qu’un simple duché. Il y avait peut-être une volonté également de marquer une rupture avec le précédent duché. On peut aussi remarquer que le grand-duché de Luxembourg occupait une superficie supérieure à la plupart des petits duchés morcelés dans la Confédération germanique. Il n’y a pas de règle définit en ce sens mais d’un point de vue hiérarchique, un royaume est supérieur à un grand-duché, qui lui-même est supérieur à un duché.

L’ancien duché de Luxembourg devient un Grand-Duché
Durant des siècles, le titre de duc de Luxembourg fut un titre subsidiaire des rois d’Espagne puis des archiducs d’Autriche à partir de 1715. Ce nouveau titre de grand-duc marque donc une rupture avec le précédent titre de duc de Luxembourg, porté comme un titre subsidiaire d’un monarque étranger. On peut aussi l’expliquer par une tendance, à cette époque, d’ériger des territoires en grands-duchés, principalement du côté germanique. Parmi d’autres exemples, l’ancien margraviat de Bade devint le grand-duché de Bade après la période napoléonienne, tout comme le landgraviat de Hesse devint le grand-duché de Hesse, ou encore le duché d’Oldenbourg devint le grand-duché d’Oldenbourg.
Enfin, la dernière raison est qu’un grand-duc jouit du prédicat d’Altesse Royale, contrairement à un duc qui porte le prédicat d’Altesse. À l’époque, il existait une myriade de petits États de la Confédération germanique qui étaient simplement érigés au rang de duchés ou de principautés. Toujours dans l’idée de compenser les pertes du roi des Pays-Bas, ce statut de grand-duc de Luxembourg lui conférait un rang supérieur à la majorité des autres petits États de la Confédération germanique.

Des tensions sont rapidement apparues au nouveau grand-duché de Luxembourg, pays dirigé par un roi néerlandais éloigné de la vie du pays. Une partie du Luxembourg a soutenu le peuple belge lors de son soulèvement contre le roi Guillaume 1er des Pays-Bas. Une période politiquement compliquée va avoir lieu lorsque la Belgique a pris son indépendance des Pays-Bas en 1830. Le nouvel État belge choisit Léopold de Saxe-Cobourg comme nouveau roi, qui prête serment en tant que Léopold 1er en 1831. Le nouveau royaume de Belgique considère unilatéralement le Luxembourg comme faisant intégralement partie de son territoire. Durant 8 ans, le Luxembourg vit sous une double administration, jusqu’à la résolution de la question en 1839, par le traité des XXIV articles qui scinde le territoire en deux. La partie occidentale du grand-duché devient la province de Luxembourg en Belgique, et la partie orientale reste le grand-duché de Luxembourg, pays indépendant mais toujours dirigé par le roi des Pays-Bas.

En 1889, le roi Guillaume III des Pays-Bas meurt et sa fille, la reine Wilhelmine, lui succède sur le trône néerlandais. Cependant, la loi salique était en vigueur au Luxembourg, empêchant Wilhelmine de succéder à son père au Luxembourg. Dès 1783, un pacte familial avait été conclu au sein de la famille de Nassau, indiquant qu’en cas d’extinction de la ligne masculine, le chef de famille serait le chef de la branche cousine la plus proche. Le prince Adolphe, de la branche Weilbourg de la famille de Nassau, devint donc le grand-duc de Luxembourg à la mort de Guillaume III. Adolphe était un monarque déchu, ayant été le souverain du duché de Nassau de 1838 à 1866.


La famille grand-ducale actuelle descend du grand-duc Adolphe. Celui-ci est l’arrière-arrière-arrière-grand-père du nouveau grand-duc Guillaume. En 1907, le grand-duc Guillaume IV est gravement malade. Il est père de six filles et il ne peut envisager que son cousin, issu d’une branche morganatique des comtes de Merenberg, lui succède. Il choisit alors sa fille aînée, Marie-Adélaïde, pour lui succéder. Celle-ci montera sur le trône en 1912 à 17 ans, mettant fin à la loi salique au Luxembourg.

Inadaptée à la fonction souveraine et ayant la lourde de tâche de diriger le pays durant la Première Guerre mondiale, la grande-duchesse Marie-Adélaïde abdique en 1919 en faveur de sa sœur, la grande-duchesse Charlotte. La grande-duchesse Charlotte épousera la même année le prince Félix de Bourbon-Parme, fils de Robert 1er, le dernier duc de Parme. La sœur de Félix fut quant à elle impératrice d’Autriche par son mariage avec l’empereur Charles 1er. D’un point de vue généalogique, en ligne agnatique, l’actuelle famille grand-ducale est donc une branche de la famille de Bourbon-Parme mais elle garde le nom de la Maison de Nassau. Les descendants de Charlotte et Félix ont hérité des titres de leurs deux parents. Les membres de la famille grand-ducale portent encore aujourd’hui officiellement au sein de leur titulature complète le titre de prince de Nassau et celui de prince de Bourbon-Parme.

Les autres grands-duchés qui existaient ailleurs en Europe ont tous été abolis ou annexés. En 1569, le duc de Florence, Côme 1er de Médicis, est élevé au rang de grand-duc de Toscane, par l’empereur le pape Pie V et est investi grand-duc par l’empereur Maximilien II l’année suivante, lorsque son territoire fusionne avec celui de Sienne. Le grand-duché de Toscane est, semble-t-il, le premier grand-duché au monde. Par la suite, les grands-duchés vont principalement voir le jour lorsque deux duchés fusionneront, signifiant ainsi son expansion. Durant la période napoléonienne, certains nouveaux états prennent ce rang et on constate qu’au Congrès de Vienne, plusieurs anciens territoires reprennent leur indépendance mais cette fois-ci sous la forme d’un grand-duché. Le grand-duché de Toscane a été annexé au nouveau royaume d’Italie qui s’est formé en 1860. Les autres grands-duchés, situés dans la Confédération germanique, qui deviendra l’Empire allemand, disparaîtront à leur tour lors de la chute de l’Empire allemand après la Première Guerre mondiale et l’abolition de la monarchie en 1918.
Le grand-duché de Luxembourg est donc le dernier grand-duché au monde. Le grand-duc Henri garde son titre malgré son abdication, en tant que souverain émérite. Le titre de grand-duc fut aussi utilisé par la famille impériale russe comme titre accordé aux enfants et petits-enfants du tsar. Ce titre n’a toutefois pas de lien avec le souverain d’un état. Le grand-duc Guillaume et le roi Felipe VI d’Espagne sont aussi les derniers monarques capétiens. En tant que descendants en ligne masculine de Louis XIV, ils sont d’ailleurs tous les deux, aux yeux des légitimistes français, incluent dans l’ordre de succession à l’ancien trône de France. La famille de Bourbon-Parme, à laquelle appartient le grand-duc Guillaume, descendant du duc Robert 1er de Parme. Les souverains de Parme descendent eux-mêmes du roi d’Espagne, dont le roi Philippe V était le petit-fils de Louis XIV, d’où le nom de Bourbon.