Le roi Felipe VI dénonce des « actes odieux qui font honte à la communauté internationale », lors de l’assemblée générale des Nations unies

Pour la troisième fois depuis le début de son règne, le roi Felipe VI a été invité à prendre la parole lors de l’assemblée générale des Nations unies. Le monarque espagnol a rappelé l’importance de « l‘universalité des principes et des valeurs » que partagent les États membres de l’ONU. Le roi Felipe a prononcé un discours fort et engagé, dans lequel il dénonce les « actes odieux » qui ont lieu actuellement dans certaines parties du monde et qui « répugnent à la conscience humaine ».

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Le roi Felipe VI à New York pour participer à l’assemblée générale des Nations unies

Le roi Felipe VI d’Espagne, 57 ans, était à New York durant quelques jours afin d’assister à plusieurs réunions, réceptions et conférences, en marge de la 80e assemblée générale des Nations unies. Felipe est un habitué du siège de l’ONU, où il se rend régulièrement depuis l’an 2000, alors qu’il était encore prince des Asturies. Cette année, pour la troisième fois depuis qu’il est Roi, Felipe VI était convié à prendre la parole durant l’assemblée générale.

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Le 22 septembre, le roi Felipe a rencontré la communauté d’expatriés espagnols installés à New York. Le 23 septembre, le souverain espagnol a assisté à la session d’ouverture de la 80e assemblée générale des Nations unies, au côté de nombreux chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’ONU. Cette assemblée générale se tient du 23 au 29 septembre. En 2025, le thème est : « Ensemble, nous sommes meilleurs : 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits de l’homme ». Durant cette journée, le roi Felipe a enchaîné les réunions avec les missions permanentes de plusieurs pays alliés, au Conseil des relations étrangères, et enfin, en soirée, le roi Felipe a rejoint l’hôtel Lotte New York Palace où Donald et Melania Trump organisaient leur grande réception pour les chefs d’État.

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La prise de parole très engagée du roi Felipe VI face aux chefs d’État

C’est très tôt dans la matinée du 24 septembre que le roi Felipe VI était convié à se rendre à la tribune, après avoir rencontré le secrétaire général Antonio Guterres et le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le roi Felipe a prononcé un très long discours d’une vingtaine de minutes, en commençant par rappeler le contexte mondial « agité », « qui nous place trop souvent au bord du précipice, et où les voix ne manquent pas pour prôner la fin du multilatéralisme, l’obsolescence et l’inefficacité des Nations Unies. »

« Face à cette impression d’effondrement, il faut affirmer : il est clair que les temps ont changé, et nous devons nous adapter, voire anticiper, sans nous réfugier dans l’idéalisme, la complaisance ou l’imprévoyance. Mais c’est précisément dans ces moments d’incertitude qu’il est le plus important de saisir les clés de notre époque, afin de ne pas retomber dans les erreurs déjà commises et de ne pas sombrer dans des spirales sans retour. »

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« Pour y parvenir, nous comptons sur la mémoire, l’outil le plus précieux de toute génération pour affronter ses défis. La mémoire du XXe siècle nous interpelle chaque fois que nous nous réunissons dans cette Assemblée générale ; elle nous rappelle pourquoi ce foyer de la communauté internationale a été créé, dans quelles circonstances il est né et quels chapitres sombres de l’histoire il a cherché à clore définitivement. 

Il convient de laisser résonner à nouveau les premiers mots du préambule de la Charte des Nations Unies, qui commencent ainsi : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre… » Lequel des grands mots inscrits dans ce préambule – paix, dignité, égalité, justice, progrès – a cessé d’être pertinent et de constituer une exigence éthique urgente ? Sur lequel de ces chemins avons-nous suffisamment progressé, au cours de ces huit décennies, pour considérer comme achevée la voie du multilatéralisme et de la coopération ? Le silence face à ces questions est la plus grande preuve que l’ONU non seulement reste utile : elle est indispensable, elle est irremplaçable. 

Le roi Felipe VI prononce un discours engagé à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies (Photo : Anthony Behar/SPUS/ABACAPRESS.COM)

Croire aux Nations Unies, c’est croire fermement à l’universalité des principes et des valeurs consacrés par sa Charte et la Déclaration universelle des droits de l’Homme ; c’est éviter la tentation de les moduler par des particularismes, du relativisme et des exceptions. Car la dignité de la personne humaine est non négociable. Croire aux Nations Unies, c’est aussi croire en un monde fondé sur des règles. Les règles engendrent des comportements auxquels adhèrent la grande majorité des acteurs internationaux. Même lorsqu’elles sont violées, il existe une base pour les justifier, pour les faire respecter. Les règles sont la voix de la raison appliquée aux relations internationales, notre meilleure défense contre la loi du plus fort. Un monde sans règles est une terra incognita ; une époque sans règles est un Moyen Âge.

Le chemin proposé par la Charte des Nations Unies est semé d’embûches et nous ne le parviendrons jamais à franchir pleinement. C’est pourquoi l’exemple de tant de personnes attachées à ses valeurs et à ses principes est si précieux ; des personnes qui travaillent dans des conditions extrêmes, risquant leur liberté, leur intégrité physique, voire leur vie, dans un monde ravagé par les conflits dans de trop nombreuses régions.

Nous le constatons sur le continent européen, en Ukraine, avec la guerre déclenchée par l’agression injustifiée et non provoquée de la Russie, en violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays. La paix en Europe ne sera possible sans justice et responsabilité. L’Espagne continuera de soutenir tous les efforts visant à instaurer une paix juste et durable, fondée sur les principes du droit international, le respect des droits de l’homme et la responsabilité.

Nous le constatons aussi, dans toute sa dureté, au Moyen-Orient, en Palestine, dans la bande de Gaza. Nous ne pouvons rester silencieux, ni détourner le regard, face à la dévastation, aux bombardements, même contre des hôpitaux, des écoles et des abris ; face à tant de morts parmi la population civile ; face à la famine et au déplacement forcé de centaines de milliers de personnes… à quelle fin ? Ce sont des actes odieux, aux antipodes de tout ce que représente ce forum. Ils répugnent à la conscience humaine et font honte à la communauté internationale tout entière.

L’Espagne est un peuple profondément fier de ses racines séfarades. Lorsque nous nous adressons au peuple d’Israël, nous nous adressons à un peuple frère, un peuple qui, lorsqu’il revient en Espagne – à Cordoue, Tolède, Séville, Barcelone et tant d’autres – retourne chez lui. Tel est le principe fondateur de la loi qui, en 2015 et avec un large consensus, a accordé la nationalité espagnole aux descendants des Juifs séfarades originaires d’Espagne. C’est pourquoi nous sommes si peinés, si difficiles à comprendre ce que fait le gouvernement israélien dans la bande de Gaza. C’est pourquoi nous crions, nous implorons, nous exigeons : arrêtez ce massacre maintenant. Plus de morts au nom d’un peuple si sage et si ancien, qui a tant souffert tout au long de l’histoire.

Soyons clairs : nous condamnons fermement le terrorisme odieux du Hamas, en particulier le massacre brutal de la population israélienne du 7 octobre 2023, et nous reconnaissons le droit d’Israël à se défendre. Mais, avec la même fermeté, nous exigeons du gouvernement israélien l’application intégrale du droit international humanitaire à Gaza et en Cisjordanie. Nous exigeons l’arrivée immédiate de l’aide humanitaire, un cessez-le-feu garanti et la libération immédiate de tous les otages encore si cruellement détenus par le Hamas.

La communauté internationale doit assumer sa responsabilité pour parvenir rapidement à une solution viable à deux États. La reconnaissance de l’État de Palestine par un nombre croissant de membres de notre Organisation, dont l’Espagne a fait partie en mai dernier, devrait contribuer à l’instauration d’une paix régionale juste et durable, fondée sur la mise en œuvre des résolutions des Nations Unies et sur la reconnaissance universelle de l’État d’Israël.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les délégués, le manque de ressources, la fragilité des États et les inégalités sont également une cause et une conséquence de nombreux conflits. L’écart qui nous sépare des objectifs du Programme 2030 demeure énorme. Et le déficit de financement du développement durable dépasse actuellement les 4 000 milliards de dollars par an.

L’appel à l’efficacité et à l’optimisation des ressources, lancé lors de la IVe Conférence internationale sur le financement du développement, qui s’est tenue récemment à Séville, doit être maintenu. C’est pourquoi l’Espagne, conformément à l’engagement pris lors de cette conférence et adopté par consensus, a lancé le « Plan de Séville pour le soutien au multilatéralisme ». Nous avons augmenté notre contribution aux fonds internationaux de développement et réaffirmé notre engagement en faveur de la défense des droits humains, de l’égalité des sexes et de la transition écologique, qui constituent des éléments centraux et distinctifs de notre politique étrangère. J’aborderai brièvement chacun de ces trois axes. 

En premier lieu, les droits de l’homme. Depuis cette année, l’Espagne est membre du Conseil des droits de l’homme, ce qui nous permettra de poursuivre nos efforts en faveur de causes telles que la lutte contre le racisme, l’abolition de la peine de mort et la promotion des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que de lutter contre toutes les formes de discrimination.

Parce que nous soutenons des sociétés pluralistes et ouvertes où tous les citoyens participent. Et nous sommes préoccupés par l’érosion des démocraties et la désaffection que nous constatons envers les valeurs essentielles à la coexistence démocratique. En ces temps confus, qui mettent à l’épreuve la capacité de dialogue, c’est là que nous devons rester le plus fidèles à ces valeurs. 

Conformément à ces principes, nous sommes convaincus que l’immigration, bien gérée, est un vecteur de développement mutuel pour les sociétés d’origine, de transit et de destination, et que les droits humains des migrants doivent donc être au cœur de notre action. C’est pourquoi nous soutenons pleinement la mise en œuvre du Pacte mondial pour les migrations et du Pacte mondial pour les réfugiés. 

Deuxièmement, je voudrais aborder la question de l’égalité des sexes. Cette année, qui marque le 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin, offre une nouvelle occasion de renouveler notre engagement en faveur d’une égalité réelle et effective, qui constitue non seulement une avancée en matière de droits humains, mais surtout une question de justice. L’Espagne aspire à rester un leader mondial dans des domaines tels que la lutte pour les droits sexuels et reproductifs, contre les violences sexuelles et sexistes, et pour une plus grande participation des femmes aux postes de direction et aux processus décisionnels.  

Troisièmement, j’aborderai la question environnementale. La triple crise planétaire à laquelle nous sommes confrontés – changement climatique, pollution et perte de biodiversité – exige un renforcement de la gouvernance et la mobilisation de ressources suffisantes pour accélérer la transition énergétique juste, nous permettant ainsi de tripler la capacité des énergies renouvelables, de doubler l’efficacité énergétique et de poursuivre la décarbonation de nos économies. Ces objectifs sont aussi ambitieux que nécessaires, et c’est pourquoi il est essentiel de laisser de côté toute hésitation. L’Espagne appelle au consensus et à l’ambition en vue de la prochaine COP30, qui nous réunira au Brésil en novembre prochain. 

D’autres défis, tout aussi importants, se posent, comme la gestion de l’impact de la révolution copernicienne qu’est l’intelligence artificielle, qui peut accélérer les progrès de l’Agenda 2030 si nous savons l’orienter vers une transformation numérique juste et équitable. Et dans le domaine de la santé – dont la dimension mondiale est devenue évidente, avec des connotations tragiques, à l’époque pas si lointaine de la COVID – nous saluons l’obtention d’un consensus autour de l’Accord sur la pandémie, qui renforce la position centrale de l’Organisation mondiale de la Santé au sein de l’architecture sanitaire mondiale. 

Madame la Présidente, La politique étrangère espagnole, de par sa situation géographique, son histoire et ses convictions, s’articule autour de trois axes fondamentaux : l’Afrique et la Méditerranée, l’Amérique et l’Atlantique, et l’Europe. J’aimerais faire quelques commentaires sur ces trois axes.

L’Espagne est pleinement consciente que l’Afrique représente un enjeu stratégique mondial majeur. La situation actuelle est marquée, dans certains pays, par des déficiences structurelles et des guerres et conflits atroces, peu pris en compte par rapport à d’autres déjà mentionnés. Je pense notamment aux nombreuses opérations de maintien de la paix dans la région, auxquelles mon pays contribue de manière décisive. C’est le cas du Sahara occidental, où l’Espagne continuera de soutenir l’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies afin de parvenir à une solution acceptable et conforme aux normes et au cadre des Nations Unies.

L’avenir de l’Afrique passera par une population jeune, dynamique et proactive, de plus en plus présente dans les affaires mondiales. C’est cet avenir que nous devons soutenir : c’est pourquoi mon pays a adopté la Stratégie Espagne-Afrique 2025-2028. Nous souhaitons développer un partenariat fondé sur des actions concrètes et des intérêts communs, qui contribuera également à dynamiser le multilatéralisme africain dynamique incarné par l’Union africaine et d’autres organisations sous-régionales.

Sur le plan strictement bilatéral, je ne peux oublier la relation particulière de bon voisinage et de coopération qui nous unit au Royaume du Maroc, à laquelle nous avons donné, ces dernières années, un nouvel élan au bénéfice de nos peuples.

Pour l’Espagne, l’Amérique latine et les Caraïbes représentent une communauté de pays frères, un élément irremplaçable d’une identité renforcée par un patrimoine – la langue espagnole – partagé par 600 millions de locuteurs dans le monde. Notre pays assure le secrétariat pro tempore de la Communauté ibéro-américaine des nations jusqu’à fin 2026, et Madrid accueillera le prochain sommet ibéro-américain. Nous continuerons de soutenir l’action de l’Union européenne dans la région, qui culminera cette année avec le sommet Union européenne-CELAC, qui se tiendra en Colombie en novembre prochain. 

L’Union européenne représente l’une des plus grandes réussites en matière d’harmonie et un exemple de multilatéralisme. Sa voix est, en ces temps difficiles, plus nécessaire que jamais, et c’est pourquoi nous nous engageons pour une Union toujours plus efficace et cohésive, capable de garantir sa sécurité et sa compétitivité dans l’économie mondiale.

Je crois qu’il est important de rappeler qu’un accord politique final a été annoncé le 11 juin sur les aspects fondamentaux du futur accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Ce pacte historique, respectueux de la position de mon pays concernant la souveraineté et la juridiction sur Gibraltar, apportera confiance, sécurité juridique et stabilité aux habitants du Campo de Gibraltar et à Gibraltar lui-même.

Madame la Présidente, j’ai commencé par évoquer le passé et le présent des Nations Unies, et je consacrerai mes derniers mots à son avenir. En cette période de forte pression budgétaire, j’appelle tous les États Membres à s’engager envers cette Organisation. J’encourage l’ensemble de votre personnel, sous la direction de votre Secrétaire général, à poursuivre ses efforts considérables pour gagner en efficacité et en efficience, en accordant la priorité aux domaines dont l’abandon constituerait une violation inacceptable des principes éthiques qui doivent toujours régir leur travail. Nous restons convaincus de la nécessité de développer des initiatives de réforme et mettons à profit notre capacité de dialogue et de consensus, ainsi que notre ferme conviction multilatérale, pour mener à bien cet exercice.

À l’occasion de ce 80e anniversaire – qui coïncide également avec le 70e anniversaire de l’adhésion de l’Espagne – je souhaite, Monsieur le Président, renouveler la reconnaissance de mon pays à tous les hommes et à toutes les femmes qui travaillent aux Nations Unies. Vous êtes les gardiens de la mémoire du XXe siècle et les garants des espoirs placés dans le XXIe siècle. Et c’est aujourd’hui, alors que se posent le plus de questions sur le multilatéralisme et la coopération, que nous avons le plus besoin de vous. Merci beaucoup. »

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr