Le roi Felipe VI a prononcé son traditionnel discours de Noël, ce 24 décembre. Pour la première fois, le souverain espagnol a choisi la salle des Colonnes pour sa prise de parole annuelle. C’est dans cette salle chargée d’histoire que l’Espagne a signé son intégration aux Communautés européennes, il y a 40 ans.
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Le roi Felipe VI consacre une partie de son discours de Noël aux 40 ans de l’intégration de l’Espagne aux institutions européennes
Le roi Felipe VI d’Espagne et le roi Philippe de Belgique sont les deux monarques européens à prononcer un discours le 24 décembre, la veille de Noël. Les autres monarques prononcent leur discours de fin d’année le 25 décembre et le 31 décembre. Le roi d’Espagne choisi de prononcer son discours en fin de journée.

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Cette année, le roi Felipe a choisi un décor inhabituel pour enregistrer son allocution de 12 minutes. C’est dans la salle des Colonnes que Felipe s’est adressé aux Espagnols. Cette salle du palais royal de Madrid a accueilli la cérémonie de signature officialisant l’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes, ancienne structure qui donnera naissance à l’Union européenne. La signature a eu lieu le 12 juin 1985, il y a 40 ans.

« Bonsoir. Il y a quarante ans, dans cette même salle des colonnes du Palais royal de Madrid, était signé le traité qui nous a fait entrer dans les Communautés européennes. Cinquante ans se sont également écoulés depuis le début de notre transition démocratique. Ces anniversaires m’inspirent à m’adresser à vous en cette veille de Noël pour parler de coexistence ; de notre coexistence démocratique, à travers le souvenir du chemin parcouru et notre confiance en le présent et l’avenir.

La Transition fut avant tout un exercice collectif de responsabilité. Elle est née d’une volonté partagée de bâtir un avenir de libertés fondé sur le dialogue. Ceux qui ont guidé ce processus ont veillé à ce que le peuple espagnol, dans son ensemble, devienne véritablement acteur de son avenir et assume pleinement sa souveraineté. Malgré leurs divergences et leurs doutes, ils ont su dépasser leurs désaccords et transformer l’incertitude en un point de départ solide, sans aucune garantie d’atteindre leurs objectifs. Ce courage – le courage d’avancer sans garanties, mais unis – est l’un des enseignements les plus précieux qu’ils nous aient transmis.

De cette impulsion est née notre Constitution de 1978, l’ensemble des objectifs communs sur lesquels reposent notre présent et notre vie en commun, un cadre suffisamment large pour nous accueillir tous, dans toute notre diversité.
Notre entrée dans le processus d’intégration européenne a constitué l’autre étape décisive, inspirante et mobilisatrice. Elle a également été le fruit d’un engagement collectif : celui d’un pays désireux de tourner la page d’un long éloignement d’une Europe avec laquelle nous partageons des principes, des valeurs et une vision commune de l’avenir. L’Europe n’a pas seulement apporté la modernisation et le progrès économique et social ; elle a aussi renforcé nos libertés démocratiques.
Cette perspective historique nous permet de constater que l’Espagne a connu une transformation sans précédent au cours de ces cinq décennies, ce qui lui a permis de consolider les libertés démocratiques, le pluralisme politique, la décentralisation, l’ouverture sur le monde extérieur et la prospérité.
Notre société est façonnée par des générations qui se souviennent de la Transition et par d’autres qui ne l’ont pas vécue et qui sont nées et ont grandi en démocratie et en liberté. Des générations de personnes âgées qui ont vu l’Espagne se transformer comme jamais auparavant dans son histoire ; des générations d’adultes qui, au prix de grands efforts, concilient travail, famille et responsabilités personnelles ; et des générations de jeunes qui relèvent aujourd’hui de nouveaux défis avec initiative et engagement. Elles sont toutes nécessaires à un progrès juste et harmonieux. Et je les aborde toutes.
Nous vivons une époque incontestablement exigeante. Nombreux sont les citoyens qui estiment que la hausse du coût de la vie limite leurs perspectives d’avancement ; que l’accès au logement constitue un obstacle aux projets de nombreux jeunes ; que le rythme effréné du progrès technologique engendre la précarité de l’emploi ; ou encore que les phénomènes climatiques représentent une contrainte de plus en plus importante, voire tragique. Nous sommes confrontés à de nombreux défis… Et les citoyens perçoivent également que les tensions qui règnent dans le débat public alimentent la lassitude, la désillusion et le désenchantement. Ce sont là des réalités que ni la rhétorique ni les vœux pieux ne peuvent résoudre.
Au cours de ces cinquante dernières années, notre pays a maintes fois démontré sa capacité à relever les défis internes et externes grâce à la volonté, la persévérance et une vision nationale. Nous l’avons constaté lors de crises économiques, d’urgences sanitaires et de catastrophes naturelles, et nous le constatons également chaque jour dans le travail discret et responsable de millions de personnes.
L’Espagne a progressé lorsque nous avons su trouver des objectifs communs. Et la base de tout projet commun est nécessairement la coexistence. Je l’ai déjà évoqué, mais elle est le fondement de notre vie démocratique. Ceux qui nous ont précédés ont su la construire même dans des circonstances difficiles, comme celles d’il y a cinquante ans.
Mais la coexistence n’est pas un héritage impérissable. Il ne suffit pas de l’avoir reçue : c’est une construction fragile. C’est pourquoi nous devons tous faire de la préservation de la coexistence notre tâche quotidienne. Et pour cela, la confiance est essentielle.
Dans ce monde turbulent, où le multilatéralisme et l’ordre mondial sont en crise, les sociétés démocratiques traversent une grave crise de confiance. Cette réalité affecte profondément le moral des citoyens et la crédibilité des institutions.
L’extrémisme, le radicalisme et le populisme prospèrent grâce à ce manque de confiance, à la désinformation, aux inégalités, au désenchantement face au présent et aux doutes quant à la manière d’aborder l’avenir.
Il ne suffit pas de se souvenir que nous avons déjà connu cela, que nous connaissons déjà ce chapitre de l’histoire et ses conséquences désastreuses. Il nous incombe à tous de préserver la confiance dans notre coexistence démocratique. Demandons-nous, sans regarder personne d’autre, sans chercher à blâmer autrui : que pouvons-nous faire chacun pour renforcer cette coexistence ? Quelles sont les limites à ne pas franchir ?
Je parle de dialogue, car la résolution de nos problèmes exige la participation, la responsabilité et l’engagement de tous ; je parle de respect du langage et d’écoute des opinions d’autrui ; je parle d’une conduite exemplaire de la part de toutes les autorités publiques ; aussi d’empathie ; et de la nécessité de placer la dignité de l’être humain, en particulier des plus vulnérables, au centre de tout discours et de toute politique.
Rappelons-nous — en cette veille de Noël — qu’en démocratie, les idées de chacun ne sauraient être des dogmes, ni celles des autres, des menaces ; que le progrès consiste à avancer par étapes, avec des accords et des compromis, mais dans la même direction, sans se précipiter au détriment de la chute d’autrui ; que l’Espagne est, avant tout, un projet partagé : une manière de rassembler — et de réaliser — les intérêts et les aspirations individuels autour d’une même notion de bien commun.
Chaque période historique présente ses propres défis. Il n’existe pas de chemin facile. Le nôtre n’est pas plus simple que celui de nos parents ou grands-parents. Mais nous possédons un atout précieux : notre capacité à les parcourir ensemble.
Faisons-le en nous appuyant sur le souvenir de ces 50 années et faisons-le avec confiance. La peur ne fait qu’ériger des barrières et générer du bruit, et ces barrières et ce bruit nous empêchent de comprendre la réalité dans toute son étendue.
Nous sommes un grand pays. L’Espagne regorge d’initiative et de talent, et je crois que le monde a plus que jamais besoin de notre sensibilité, de notre créativité et de notre capacité de travail, de notre sens de la justice et de l’équité, et de notre ferme attachement à l’Europe, à ses principes et à ses valeurs.
Nous pouvons atteindre nos objectifs, avec des succès et des échecs, si nous les entreprenons ensemble ; tous participant, avec fierté, à ce grand projet de vie partagée qu’est l’Espagne. Convaincus que nous saurons avancer ensemble dans cette direction, veuillez accepter mes meilleurs vœux pour ces jours et la nouvelle année, ainsi que ceux de la Reine et de nos filles, la princesse Leonor et l’infante Sofía. Joyeux Noël à tous. Eguberri on, Bon Nadal, Boas Festas. »