Le roi Tupou VI prend le contrôle des Affaires étrangères : la démocratie tongienne menacée par le monarque

Après avoir frôlé la crise constitutionnelle l’année dernière en faisant pression pour destituer deux ministres, le roi Tupou VI fait à nouveau polémique, en abolissant un portefeuille ministériel. Le roi des Tonga a supprimé le ministère des Affaires étrangères. Les nouveaux Services diplomatiques de Sa Majesté dépendront directement du souverain, sous les auspices du prince héritier.

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Les affaires étrangères des Tonga passent sous le contrôle du Roi

Après 165 ans d’un régime monarchique absolu, proche d’un système féodal où la noblesse jouissait de privilèges importants, les Tonga s’ouvraient finalement à la démocratie en 2008. Le roi Tupou V avait finalement cédé à la pression du peuple. Dès le début de son règne en 2006, il a dû affronter d’importantes manifestations. Tupou V entendra son peuple et fera de son pays une monarchie constitutionnelle, signant ce nouveau régime quelques jours avant les fastueuses cérémonies de son intronisation. Tupou V a régné cinq ans et demi. Son frère cadet, lui succédera le 18 mars 2012 sous le nom de règne de Tupou VI.

Le roi Tupou VI a succédé à son frère en 2012. Ici, le nouveau roi lors de son couronnement organisé en 2015 (Photo : Linny Folau/AP/SIPA)

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Depuis quelques années, le roi Tupou VI, 66 ans, durcit sa politique et semble plus proche des valeurs conservatrices de son père, le roi Tupou IV, que de celles de son frère, le roi Tupou V. En août 2017, le roi a limogé le premier ministre, ancien dirigeant d’un mouvement démocratique, sous la pression de la noblesse du pays qui occupe neuf sièges au parlement de cet archipel de 170 îles et îlots. Les Tonga comptent plus de 100 000 habitants.

En février 2024, le roi Tupou VI s’est une fois de plus immiscé dans les affaires du gouvernement en exprimant sa volonté de limoger la ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense. Le souverain ne jouissant pas d’une telle prérogative, l’acte aurait été anticonstitutionnel. Le premier ministre acceptera, en avril 2024, de suivre les recommandations du monarque et de procéder à la destitution des deux ministres. Les deux portefeuilles ministériels seront ensuite offerts au prince héritier Siaosi Tukuʻaho, 39 ans.

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Un retour en arrière qui fait craindre pour la démocratie des Tonga

Le 8 août 2025, une nouvelle loi a été adoptée par le parlement des Tonga. Celle-ci permettra au roi des Tonga d’avoir un regard direct sur les affaires étrangères du pays. L’assemblée législative a fait passer un projet de loi qui « vise à moderniser et à renforcer le cadre de conduite et de mise en œuvre des relations diplomatiques et consulaires, tout en améliorant le contrôle de l’immigration conformément aux intérêts nationaux. » Ce projet de « modernisation » passe par la suppression du ministère des Affaires étrangères et la fondation d’une nouvelle structure.

Le roi Tupou VI et la reine Nanasipau’u des Tonga (Photo : REX/Shutterstock/SIPA)

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Le ministère des Affaires étrangères ne sera plus un organe gouvernemental mais il sera sous le contrôle du roi et de son conseil privé. Le nouveau cabinet en charge des affaires étrangères du pays sera dorénavant appelé Services diplomatiques de Sa Majesté. Ce cabinet reste sous les auspices du prince héritier Siaosi Tukuʻaho. La nouvelle loi adoptée par le parlement tongien « vise également à réglementer la conduite des relations diplomatiques et consulaires et à gérer les services d’immigration conformément à l’intérêt national, tel que déterminé par Sa Majesté et son Cabinet ».

« Dès l’entrée en vigueur de la loi, tous les employés, actifs, dossiers et obligations de l’ancien ministère des Affaires étrangères seront transférés aux Services diplomatiques nouvellement créés », précise le parlement. Tous les services diplomatiques, les questions liées à l’immigration et les services à la population comme la délivrance des passeports ne dépendront plus du gouvernement mais directement du roi. Sera-t-il possible de refuser l’octroi de passeport à des dissidents ? Quels seront dorénavant les recours pour s’opposer en cas de litige ? Les Tonga survivent en grande partie grâce à l’aide et au financement provenant de l’étranger. Certains observateurs craignent que les financements deviennent opaques et que des fonds puissent être détournés, puisque ce sera à présent aux Services diplomatiques de Sa Majesté de s’en occuper.

L’État moderne des Tonga a été fondé en 1875 avec pour premier souverain, Tupou 1er, déjà considéré comme « chef suprême » de l’archipel depuis 1865. Le pays compte aujourd’hui une trentaine de chefs de famille nobles parmi lesquels neuf sont choisis pour siéger au parlement qui compte 26 parlementaires. Depuis 2010, le premier ministre est choisi par le parlement et non plus directement par le Roi. Lui-même forme ensuite son gouvernement, qui est approuvé par le parlement.

Un spécialiste explique à la radio néo-zélandaise RNZ en quoi ce changement peut être problématique pour la démocratie du pays. « La loi a été adoptée en urgence, sans débat ni opposition. Elle a été adoptée sans plus d’explication ». Pour les observateurs politiques, cela laisse présager une implication directe du souverain. Pour l’heure, l’ensemble du ministère des Affaires étrangères est simplement transféré, passant d’une entité gouvernementale à un service dépendant directement du monarque et de son conseil privé. Le fait qu’un portefeuille gouvernemental puisse être aboli sans aucun débat et sans prévenir inquiète. Quant au ministère de la Défense, officiellement dirigé par le prince héritier depuis avril 2024, la situation ne semble pas claire.

Le journal local Kaniva Tonga analyse la situation et semble méfiant. Cette loi « sape directement » les réformes qui visaient à transférer le pouvoir exécutif de la monarchie au Parlement et « menace de compromettre les fragiles progrès démocratiques des Tonga ». Le journal local rappelle qu’en « rétablissant l’autorité royale sur un ministère clé, la législation risque de raviver les « erreurs » » contre lesquelles le précédent monarque, le roi Tupou V, avait autrefois mis en garde, à savoir : « un recul de la gouvernance responsable vers une monarchie sans contrôle. »

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr