Accoucher en public : cruauté au Palais

« C’est la grandeur de vous et de votre enfant », disait Henri IV à Marie de Médicis, au moment où celle-ci allait donner en public un héritier à la Couronne de France. Toute dynastie en effet requiert pour subsister, pour se prolonger à travers les temps, un héritier et une certitude : que l’enfant appelé à s’asseoir un jour sur le trône est bel et bien l’héritier authentique des souverains régnants.

L’accouchement de Marie de Médicis qui donne naissance au dauphin, futur Louis XIII, à Fontainebleau en 1601 (Photo : Photo 12 / Alamy Banque D’Images)

La grossesse et l’accouchement sont politiques

Dès leur mariage, les reines ou futures reines étaient l’objet d’une terrible pression : leur rôle était avant toute chose de donner un héritier – mâle – à la Couronne. Quitte à le lui enlever, une fois né, comme ce fut le cas pour la future Catherine la Grande, abandonnée seule dès la délivrance sans pouvoir voir son fils pendant longtemps. Une autre victime de ce pressant devoir fut Anne Boleyn : son incapacité à donner un héritier mâle à Henri VIII fut l’une des raisons de sa répudiation puis de sa mort cruelle – elle fut décapitée après avoir subi de terribles accusations.

À la différence de ce qui se passait dans les autres milieux – assistée de femmes de sa famille, la future mère était entourée d’aide et de sollicitude par d’autres femmes, les « sage-femmes », sans présence masculine – l’accouchement des reines a eu une tout autre dimension.

En France, si le palais royal est le lieu naturel de la naissance du futur roi tant espéré ou, à défaut, d’une princesse, la présence de l’entourage au moment de la naissance est une exigence politique d’une portée capitale. Cette présence est à la fois codifiée – présence du roi et des plus hauts dignitaires – et paradoxalement soumise au hasard, puisque tout un chacun des sujets de Sa Majesté peut, selon son bon plaisir, s’immiscer dans la chambre de la future maman.

Pour quelle raison ? Que craint-on alors ? Pourquoi cette exigence de témoins oculaires, en nombre, grands dignitaires le plus souvent mais pas seulement, qui ont le droit et le devoir d’assister à la naissance de leur futur souverain ?

L’enfant-roi appartient au peuple

« Cet enfant est à tout le monde ! », s’est ainsi exclamé Henri IV à la naissance de son fils. Au roi la toute-puissance sur ses sujets, mais au peuple l’assurance qu’on ne le trompe pas, que la lignée qui le gouverne est authentique, exempte de tout mensonge. C’est à ce devoir que les reines, en particulier en France, ont dû se soumettre afin de donner à tous la garantie de l’extraction royale du futur souverain. Étaient craints, en effet, une substitution d’enfant, qu’un bébé vivant ne remplace un héritier mort-né ou que la naissance malchanceuse d’une fille soit compensée par un garçon providentiel. La raison la plus probable de la longévité de cette coutume étant la volonté politique de prévenir toute contestation du pouvoir légitime.

Un martyre public

Les exemples sont nombreux de reines ayant dû sacrifier à cette inconfortable et parfois cruelle tradition.

Avant de s’évanouir, alors qu’environ deux cents personnes envahissaient sa chambre dont la porte venait d’être ouverte par son époux, la reine Marie de Médicis avait eu le temps de savoir qu’elle avait mis au monde un garçon, qui deviendra Louis XIII.

À son tour, celui-ci devient père lorsque son épouse Anne d’Autriche donne naissance au futur Roi-Soleil. Sa réplique à l’une des dames de compagnie de la Reine, qui s’inquiétait des douleurs de la souveraine – elle endura de longues souffrances toute la nuit – est bien connue : « Je serai assez content si l’on peut sauver l’enfant ; vous aurez lieu, Madame, de vous consoler de la mère ! ».

Anne d’Autriche et son fils, le futur roi Louis XIV (Image : Domaine public)

Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV, a grand-peur d’accoucher en public ; il n’est bien sûr pas question d’y déroger, il lui faudra accoucher en présence des princes et des ministres. Il revient même au Chancelier de France de tâter le cordon ombilical non coupé pour vérifier que l’enfant est bien le sien et n’a pas été remplacé par un autre nouveau-né !

Le calvaire de Marie-Antoinette, lui, fut à son comble au vu et au su de tous : suffoquant dans la pièce où des quidams montent sur une commode pour jouir du spectacle, où le vacarme est assourdissant et l’atmosphère irrespirable, la reine s’évanouit pendant le travail. Il faut la réanimer pour poursuivre et on voit le roi aller lui-même ouvrir la fenêtre pour soulager la pauvre accouchée qui donne naissance à son premier enfant : une fille, Madame Royale. À partir de cet évènement, véritable supplice pour la reine et la femme, Louis XVI assouplira le protocole des naissances royales. Madame Campan, première femme de chambre de la reine, écrivit dans ses Mémoires : « Cette cruelle étiquette fut pour toujours abolie. »

Sources : History, guichetdusavoir.org, Le Point

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.