L’Agan Khan IV, 49e chef spirituel des Ismaéliens nizârites, est décédé ce mardi 4 février 2025 à l’âge de 88 ans. Le prince Karim, descendant du prophète Muhammad, était un homme d’affaires, un philanthrope, un bâtisseur de ponts entre les cultures et un promoteur de la tolérance interconfessionnelle.
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Décès du 49e imam des Ismaéliens
« Son altesse le prince Karim Al-Hussaini, Aga Khan IV, 49e Imam héréditaire des musulmans chiites ismaéliens et descendant direct du prophète Mahomet (que la paix soit avec lui), est décédé paisiblement à Lisbonne le 4 février 2025, à l’âge de 88 ans, entouré de sa famille », a indiqué sur X sa fondation, le Réseau Aga Khan de développement (AKDN). L’Aga Khan est le chef spirituel des Ismaéliens nizârites, une branche de l’islam chiite qui compte entre 12 à 15 millions de fidèles.

Les communautés ismaéliennes les plus importantes se trouvent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie. En 1877, en Inde, l’imam des Ismaéliens est reconnu par l’Empire britannique qui lui accorde le titre de prince héréditaire. Comme le veut le protocole pour les maharadjas et souverains indiens, un salut personnel au coup de canon lui est accordé au nombre de 11. Par ailleurs, en tant que descendants de Fath Ali Chah Qadjar, chah d’Iran de 1797 à 1834, le gouvernement britannique avait à nouveau reconnu le titre princier aux membres de la famille de l’Aga Khan en 1938.
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Un descendant du prophète Muhammad et des chahs d’Iran de la dynastie Qadjar
En 1957, la reine Elizabeth II a accordé, de manière formelle, le prédicat d’Altesse à l’Aga Khan IV, au moment de sa succession à l’imamat, après le décès de son grand-père. En 1959, l’empereur d’Iran, le chah Muhammad Reza Pahlavi, a octroyé le prédicat d’Altesse royale à l’Aga Khan, un prédicat dont il n’a jamais fait usage publiquement, surtout après l’abolition de la monarchie en Iran en 1979.

Le prince Karim est né le 13 décembre 1936 à Genève, fils du prince Ali Khan et de l’aristocrate britannique divorcée Joan Yarde-Buller, fille du baron Churton. Joan Yarde-Buller était divorcée de Loel Guinness, membre de la célèbre dynastie Guinness avec qui elle a eu un premier enfant. Avec le prince Ali Khan, Joan Yarde-Buller a eu le prince Karim et le prince Amin. Le prince Ali Khan et Joan divorcent en 1949. Le prince Ali épousera plus tard la célèbre actrice et chanteuse Rita Hayworth, mariage qui lui vaudra sa place dans l’ordre de succession à l’imamat. Joan se mariera une troisième fois avec Seymour Berry, 2e vicomte Camrose.
Le titre d’Aga Khan a été donné pour la première fois au 46e imam en 1808. Ce titre accordé par le chah d’Iran Fath Ali Shah Qadjar, est composé de deux mots d’origines ottomanes et mongoles dont l’équivalent pourrait être « grand seigneur ». Aga Khan est aujourd’hui légalement le patronyme des membres de cette famille. Le premier Aga Khan n’était autre que le gendre du chah Fath Ali Shah Qadjar. L’imam avait en effet épousé la princesse Sarvi Jahan Khanum, la fille du chah. Par conséquent, leurs descendants sont aussi des descendants des chahs d’Iran de la dynastie Qadjar. La dynastie a régné sur l’Iran jusqu’en 1925. Succédera alors la dynastie Pahlavi sur le trône impérial d’Iran.
Les imams ismaéliens descendent directement du Prophète. Ils suivent la croyance chiite selon laquelle le Prophète aurait désigné Ali ibn Ali Talib comme « imam », soit son successeur temporel et spirituel. Ali était à la fois son cousin et son gendre, époux de sa fille Fatimah. Le 2e imam est Hassan, le fils d’Ali, puis le 3e est Hussein, le frère d’Hassan. Par la suite, les imams se sont succédé de père en fils. Au départ, les Ismaéliens reconnaissent les mêmes imams que le courant chiite, appelés les Imams duodécimains ou les Douze imams. Les Ismaéliens se sont distingués des autres courants chiites autour de l’an 765, après la mort de Jafar, le 6e imam. Un schisme survient lorsque les courants reconnaissent des successeurs différents. Les Ismaéliens reconnaissent Ismaël, l’un des fils du précédent imam. Vers le 9e siècle, le courant semble s’installer et diriger son réseau au Yémen. C’est toutefois au début du 10e siècle que le courant ismaili semble se faire connaître, au moment de la proclamation du califat fatimide en Afrique du Nord.
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Le prince fortuné et philanthrope
Le prince Karim est devenu le 49e imam des musulmans ismaéliens à l’âge de 20 ans alors qu’il était étudiant à Harvard, succédant à son grand-père en 1957. Le prince Karim avait épousé la divorcée Sarah Croker Poole en 1969, ex-épouse de Lord James Crichton-Stuart, fils du 5e marquis de Bute. Le couple a eu trois enfants : la princesse Zahra (1970), le prince Rahim (1971) et le prince Hussain (1974). Le prince Karim et Sarah ont divorcé en 1995. En 1998, l’Aga Khan IV s’est remarié sur son domaine d’Aiglemont, dans l’Oise, avec Gabriele Renate Thyssen, divorcée du prince Karl Emich de Leiningen. Le couple a eu un fils, le prince Aly Muhammad Aga Khan. Leur divorce a été annoncé en 2004 et a été officiellement prononcé en 2011.

En 2012, le magazine Forbes classait l’Aga Khan parmi les royautés les plus fortunées du monde, avec une fortune estimée à 1 milliard de dollars. Selon une enquête de Vanity Fair, cette fortune pouvait en réalité être multipliée par dix. L’Agan Khan IV était propriétaire de plusieurs centaines de chevaux de course pur-sangs, de huit haras, d’un yacht-club à Porto Cervo en Sardaigne, de deux jets privés Bombardier, du yacht Alamshar et de nombreuses propriétés dans le monde entier. En 2009, il est devenu le propriétaire de sa propre île, Bell Island, aux Bahamas. Sa propriété principale, siège de ses affaires, était le domaine d’Aiglemont, située à Gouvieux, dans l’Oise. En 2015, avec l’accord des autorités portugaises, l’Aga Khan a désigné le palais Henrique de Mendonça, situé à Lisbonne, comme étant le siège de l’imamat ismaélien.
Le prince Karim Aga Khan IV : le bâtisseur de ponts
Le prince Karim Aga Khan IV a créé le Réseau Aga Khan de développement (Aga Khan Development Network, AKDN). Cette fondation coordonne les activités de plus de 200 agences et institutions, employant environ 80 000 salariés, dont la majorité est basée dans les pays en développement. Les principaux axes du réseau sont d’aider les communautés en proposant des services de santé, l’éducation et le soutien parental, de stimuler la croissance économique en construisant des infrastructures et en proposant des services financiers, et d’honorer le patrimoine culturel en investissement massivement dans la culture et la préservation.

L’aide financière d’AKDN avoisine le milliard de dollars annuel à travers l’ensemble de son réseau. En 2020, le prince William a fondé l’Earthshort Prize Award, un prix environnemental exceptionnel qui récompense chaque année cinq lauréats. Chaque lauréat remporte la somme d’un million de dollars, soit 5 millions qui sont distribués par édition. AKDN fait partie des mécènes qui financent ce prix.
Plutôt que de s’asseoir sur la fortune considérable dont il a hérité (son grand-père lui avait par exemple offert son poids en or), le prince Karim s’était donné pour mission de développer l’œuvre déjà considérable de son aïeul qui créa hôpitaux, logements, ou coopératives bancaires pour améliorer le sort des plus vulnérables. L’AKDN a créé une banche dédiée au développement économique (AKFED), ce qui permet de financer la fondation, grâce à des activités commerciales à travers environ 90 sociétés qui génèrent des recettes annuelles de 4,5 milliards de dollars. Parmi ces sociétés, on retrouve la chaîne hôtelière Serena, le Nation Media Group, des entreprises financières et de télécommunications.
Le chef des Ismaéliens était un défenseur de la culture et des valeurs islamiques. Discret et préférant ne jamais s’étendre publiquement sur les questions géopolitiques du Moyen-Orient, il était largement considéré comme un bâtisseur de ponts entre les sociétés musulmanes et l’Occident. « L’éthique islamique est que si Dieu vous a donné la capacité ou la chance d’être un individu privilégié dans la société, vous avez une responsabilité morale envers la société », avait-il déclaré à Vanity Fair en 2012.