« Je me sens sec et fatigué » : les dernières heures du roi Baudouin

Il y a 30 ans, le roi Baudouin s’éteignait sous le soleil andalou. Le 31 juillet 1993, le cinquième roi des Belges poussait son dernier souffle sur la terrasse de sa villa à Motril, quelques jours après avoir prononcé sa dernière allocution. Retour sur sa dernière journée en Espagne.

Lire aussi : Baudouin et Fabiola : traque mystique de la prétendante, rencontres secrètes à Bruxelles et demande en fiançailles à Lourdes

Le souhait de conciliation du roi Baudouin

Depuis quelques années, le roi Baudouin, monté sur le trône en 1951 suite à l’abdication de son père, le roi Léopold III, souffrait de problèmes du dos. Le roi des Belges était parfois contraint de travailler couché dans son lit. Il avait aussi été opéré de la prostate, en 1991, et en mars 1992, c’était à Paris, à l’hôpital Broussais, qu’il était passé sous les mains expertes du cardiologue Alain Carpentier pour subir une opération de la valve mitrale.

À 62 ans, le roi Baudouin venait déjà de vivre 42 ans de règne. Le roi souffrait en silence, assurant tous ses engagements publics. La grande réforme structurelle de la Belgique fut un chantier considérable, débouchant sur l’adoption d’un modèle fédéral pour la Belgique. Le roi unificateur avait craint le pire. En devenant un État fédéral, une plus grande autonomie fut offerte aux régions fédérées, permettant ainsi de calmer les ardeurs séparatistes du Nord. Le compromis « à la Belge ». « Ce qui importe maintenant, c’est de faire fonctionner au mieux les nouvelles institutions », avait déclaré le roi Baudouin dans son discours prononcé le 20 juillet 1993, lors de sa traditionnelle allocution de veille de fête nationale.

Le roi était convaincu que la Belgique resterait unie mais il faudrait adopter « un esprit de conciliation, de bonne volonté, de tolérance et de civisme fédéral. C’est ce que je souhaite avec la très grande majorité de nos concitoyens, qui est opposée à toute forme de séparatisme, et qui n’hésite pas à le faire savoir clairement, ce dont je me réjouis ». C’est dans cet état d’esprit apaisé que le lendemain, le roi Baudouin et son épouse, la reine Fabiola, ont assisté à l’ensemble des célébrations de la fête nationale.

En matinée du 21 juillet 1993, le roi Baudouin et la reine Fabiola assistent au Te Deum de la fête nationale à la basilique de Koekelberg (Photo : Pierre Ache/REPORTERS/ABACAPRESS.COM)

Lire aussi : La reine Fabiola a jeté sa Rolex dans la tombe du roi Baudouin : l’ultime preuve d’amour de la reine des Belges

La dernière fête nationale du roi Baudouin est aussi son dernier engagement public

Le 21 juillet, le roi Baudouin et la reine Fabiola assistent en matinée au Te Deum célébré à la basilique de Koekelberg. Dans l’après-midi, ils assistent ensuite au défilé militaire et en toute fin de journée, les festivités se concluent par un somptueux feu d’artifice tiré devant le Palais royal. La fête nationale est aussi traditionnellement le dernier jour de travail des souverains avant leurs vacances d’été. Comme à leur habitude, quelques heures plus tard, le roi et la reine prennent la direction de l’Andalousie, où dans les années 70, le couple avait fait construire une villa.

Le roi Baudouin souriant lors des célébrations de la fête nationale belge du 21 juillet 1993, assurant son dernier engagement public, quelques heures avant de s’envoler pour l’Espagne où il y vivra ses derniers jours (Photo : REPORTERS/ABACAPRESS.COM)

Lire aussi : Le roi Albert II et la reine Paola reçus au Vatican par le pape François : là où tout a commencé il y a six décennies

Les dernières heures du roi Baudouin à la villa Astrida

Dans les jours qui ont suivi la fête nationale, le roi Baudouin et la reine Fabiola retrouvent leurs habitudes à la villa Astrid, à Motril. Dans cette petite ville du sud de l’Espagne, patrie d’origine de Fabiola, ils abandonnent leurs fonctions de souverains et se laissent aller à des familiarités. Ils sont des voisins ordinaires, se baladent sur la promenade le long de la plage, discutent avec les commerçants et invitent leurs proches à déjeuner. Ils ont du personnel local et belge et leurs journées sont paisibles. Le roi a ses habitudes. Baudouin profite du discret soleil matinal pour faire des longueurs dans sa piscine. Il pouvait se baigner pendant plusieurs heures, avant de partir se promener. Le roi Baudouin passait de longs moments à lire et à remplir son journal personnel sur sa chaise en plastique blanc, semblable à une chaise de camping, posée sur le toit-terrasse de la villa Astrid.

Illustrations du livre du cardinal Suenens représentant le roi Baudouin et la reine Fabiola lors de leur dernière fête nationale et une vue aérienne de la villa Astrid (Image : Histoires Royales)

Le 31 juillet 1993, à 9 heures du matin, le roi Baudouin prend part à une chaîne de prière. Le roi, dont la foi profonde n’est plus à décrire, a assuré son tour de garde dans la chapelle de la villa, comme l’avaient décidé les membres de la famille. Baudouin considérait les neveux et les nièces espagnols de son épouse comme des enfants de substitution. L’un des membres de la famille de Fabiola était souffrant et une veillée avait été instaurée, avec une chaîne de prière. Le roi s’était vu attribuer le créneau de 9 à 10 heures. Pendant une heure, le roi a assuré son tour.

La villa Astrida du roi Baudouin et de la reine Fabiola à Motril (Photo : Dieter Bacquaert/REPORTERS/ABACAPRESS.COM)

Dans son journal intime qu’il tenait au quotidien, Baudouin posera ces dernières lignes : « Il y a depuis minuit une chaîne de prière dans la maison. On m’a mis entre 9 et 10 heures du matin, ce qui est très confortable ». Le roi lui-même se sent mal. « Viens Esprit Saint prier en moi », exhorte le souverain. « Je me sens sec et fatigué. » Il se sent alors partir et s’adresse, comme il en avait l’habitude, à la Vierge. « Maman, c’est à toi que je vais sans trop d’effort : je tâcherai, dans la foi, de me mettre à tes pieds, collé à toi. (…) Je t’offre toute ma faiblesse ». Les dernières pensées du roi Baudouin sont couchées dans son journal intime, publié notamment dans le livre du cardinal Suenens « Le roi Baudouin – L’héritage d’une vie ». Ce livre, qui dévoile les échanges épistolaires entre le roi et le cardinal, bénéficie d’une réédition en 2023, agrémentée de témoignages de proches du Roi et d’une préface signée par le prince Nikolaus de Liechtenstein.

« Le roi Baudouin – L’héritage d’une vie » du cardinal Léon-Joseph Suenens est réédité en 2023 à l’occasion du 30e anniversaire de la disparition du roi Baudouin, préfacée par le prince Nikolaus de Liechtenstein et comprenant des témoignages de proches (Photo : Histoires Royales)

Lire aussi : Jean XXIII révèle la grossesse de la reine Fabiola à la presse

Les tout derniers mots écrits par le roi Baudouin sont touchants et témoignent de sa volonté perpétuelle de s’améliorer. « Je te supplie, Jésus, donne-moi ta paix, ta Joie, ton feu d’Amour. Puis-je te demander aussi, Seigneur, de me rendre persévérant pour écrire mon journal et étudier mon allemand ? ». Le roi Baudouin souhaitait s’améliorer en allemand, l’une des trois langues nationales, dans un souci d’aider à maintenir cette unité nationale en englobant toutes les diversités, y compris la minorité germanophone.

À 13 heures, après le déjeuner, le roi Baudouin part faire un tour en mer à bord de son yacht, l’Avila. Il rentre ensuite à la villa Astrid, et comme à son habitude, il s’installe sur sa chaise en plastique, sur le toit de la maison. Le roi pouvait y lire durant des heures, à l’abri des regards et sans surveillance. À 19 heures 30, la reine Fabiola, sa famille et quelques proches sont installés à table et le personnel commence à servir le dîner. La cloche retentit dans la villa, signal habituel donné par le personnel pour annoncer au roi qu’il est attendu pour le repas. Le roi ne descend pas de son toit. On finit par jeter un œil sur la terrasse. Le Roi est inanimé sur sa chaise.

Le seul hôpital est à Grenade, soit à 60 kilomètres en empruntant une route sinueuse. Un voisin cardiologue, Carlos Aguado, est appelé en urgence, mais une fois sur le toit de la villa, il ne peut que constater le décès du roi, impossible à réanimer, probablement mort depuis un certain temps. Il n’y a plus d’espoir, son décès est constaté à 21 heures 30. Jacques van Ypersele de Strihou, chef de cabinet du Roi, sera le premier à transmettre la funeste nouvelle en Belgique, tentant d’appeler le Premier ministre qui assistait à un match de football. Dans la nuit, le Premier ministre, le vice-Premier ministre et leur cabinet se réunissent pour s’assurer de la continuité monarchique. Le prince Albert, prince de Liège, frère du roi Baudouin, est prêt à lui succéder.

Ce 31 juillet 2023, la Belgique commémore les 30 ans de la disparition du roi Baudouin. Divers hommages lui sont rendus à travers le pays, en mémoire de celui qui fut un intercesseur pour la Belgique. Le cardinal Danneels, en charge de diriger la messe de ses funérailles, déclara dans son homélie prononcée face à la dépouille et face à la reine veuve vêtue de blanc : « Heureux le peuple qui a reçu un tel roi pour le gouverner de son vivant et un tel ange pour veiller sur lui après sa mort. »

Avatar photo
Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr