L’émir de Dubaï a kidnappé ses deux filles : la justice britannique dévoile la vérité

La semaine dernière, l’émir de Dubaï avait demandé à ce que les documents de justice émanant de son divorce avec sa sixième épouse restent secrets. Deux jours plus tard, le juge avait décidé de ne pas accepter cette demande et de publier les condamnations. On comprend à présent pourquoi il voulait faire interdire la publication du jugement. C’est désormais officiel, en marge des procédures judiciaires de son divorce, le tribunal britannique a eu la confirmation que l’émir de Dubaï, le cheikh Mohammed ben Rachid Al-Maktoum est bien le responsable de la disparition de deux de ses filles, les princesses Chamsah et Latifa.

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Qu’a découvert la justice britannique ?

Depuis des mois, la princesse Haya bint Al-Hussein, demi-sœur du roi Abdallah de Jordanie, sixième épouse de l’émir de Dubaï se bat contre son mari, devant le tribunal de la famille londonien. Elle demandait le divorce ainsi que des mesures d’éloignement à l’encontre de l’émir, car elle craignait que sa fille soit mariée de force afin de la faire rapatrier aux Émirats arabes unis. Le jugement rendu public aujourd’hui permet de découvrir que l’émir de Dubaï tentait de marier de force Jalila, 13 ans, au prince hériter d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman Al-Saoud, 34 ans. La princesse Haya avait alors fui Dubaï en mai 2019 et avait trouvé refuge à Londres, avec ses deux enfants, profitant que son époux était notamment occupé à marier trois de ses fils en même temps.

Très vite, des rumeurs ont circulé quant aux raisons pour lesquelles la princesse Haya avait fui son mari. Comme l’avait deviné la presse, la princesse Haya a fui les Émirats arabes unis, pays dont son mari est le Premier ministre et le Vice-président, car elle avait obtenu des renseignements concernant le sort de la princesse Latifa Al-Maktoum et de sa sœur, la princesse Chamsa Al-Maktoum. Les deux filles de l’émir sont portées disparues, l’une depuis 2000, l’autre de 2018.

Le tribunal britannique est au courant de ces kidnappings, depuis qu’ils ont été dévoilés par les témoins venus soutenir la princesse Haya lors de sa procédure de divorce. Sir Andrew McFarlane, juge du tribunal de la famille, qui a prononcé le divorce de l’émir et de son épouse a écrit dans son verdict, que les agissement de l’émir étaient « contraires au droit pénal anglais et gallois, aux lois internationales, aux lois internationales maritimes et aux règles de droit de l’Homme acceptées dans le monde entier ».

Le juge McFarlane a conclu : « Le père a mené une campagne, par différents moyens, dans le but d’harceler, intimider ou mettre la mère (la princesse Haya, ndlr) en grand danger. Par respect pour Chamsa et Latifa, il est prouvé qu’elles aient été gardées par la famille de leur père, privées de leur liberté »

Par la même occasion on apprend le nombre impressionnant de tentatives d’intimidation qu’il aurait menées à l’encontre de son épouse. Le verdict du juge McFarlane affirme que l’émir :

  • a tenté de kidnapper la princess Haya par hélicoptère
  • a déposé illégalement des armes chez elle
  • a harcelé son épouse alors qu’elle avait une relation extraconjugale avec son garde du corps
  • a essayé de divorcer unilatéralement sans la prévenir
  • a menacé de lui prendre ses enfants
  • a publié des messages de haine sous forme de poèmes sur ses réseaux sociaux

Selon le verdict du juge, on apprend que c’est au début de l’année 2019, alors que la relation entre l’émir et la princesse Haya s’était dégradée, que celle-ci a commencé à s’intéresser au sort des princesses Chamsa et Latifa. C’est à cette période qu’elle a commencé à se sentir menacé, en retrouvant des armes dans sa chambre, en tentant de la kidnapper en hélicoptère ou encore en l’intimidant publiquement par des menaces en ligne. C’est à ce moment-là qu’elle aurait profité d’une occasion pour prendre ses deux enfants, Jalila et Zayed avec elle et fuir.

Qu’avait appris la princesse Haya sur le sort des deux filles de l’émir ? Qu’est-il arrivé à Chamsa et Latifa ?

La princesse Chamsa de Dubaï a été kidnappée après sa tentative de fuite à Cambridge

La cheikha Chamsa est issue de la relation de l’émir de Dubaï avec l’Algérienne Houria Ahmed al-M’aach. Elle a deux sœurs, Maitha et Latifa et un frère cadet Majid. La princesse Chamsa bint Mohammed ben Rachid Al-Maktoum aurait tenté de fuir, à bord de sa Range Rover, en 2000. Elle était âgée de 19 ans. L’évasion a eu lieu en Angleterre, alors qu’elle logeait dans l’une des demeures familiales à Cambridge. Elle est interceptée et reconduite à Dubaï. Depuis, la princesse Chamsa n’a plus jamais donné signe de vie…

La première tentative d’évasion de la princesse Latifa

En 2002, âgée d’à peine 16 ans, la princesse Latifa a elle aussi tenté de fuir son père et Dubaï. Elle et a été ramenée dans l’émirat, interceptée par la police des frontières au sultanat d’Oman. « Le bras droit de mon père m’a mise en prison », explique-t-elle dans une vidéo postée en mars 2018 (filmée auparavant et diffusée après sa disparition), dans laquelle elle revient sur sa première évasion et son plan de repartir pour une deuxième fois. Suite à sa première tentative, elle serait restée en prison pendant 3 ans et 4 mois. Elle y aurait été torturée et battue. « J’en suis sortie en octobre 2005 (…) Je n’ai pas le droit de conduire, je n’ai pas le droit de voyager ni même de quitter Dubaï. Je ne peux pas. Je n’ai plus quitté le pays depuis 2000. »

Le juge britannique a déclaré à son sujet : La princesse Haya « a réussi à défendre son cas en apportant des allégations factuelles. » La princesse rapporte « qu’une première fois en août 2000, le père (l’émir de Dubai, ndlr) a ordonné et orchestré le terrible kidnapping de sa fille Chamsa du Royaume-Uni vers Dubaï. Deuxièmement, à deux occasions, en juin 2002 et en février 2018, le père a ordonné et orchestré le retour forcé de sa fille Latifa dans la demeure familiale de Dubaï ».

La princesse Latifa planifie sa deuxième évasion fin 2017

Entre fin 2005, date de sortie de la princesse de prison, et début 2018, Latifa fait quelques apparitions publiques, comme si tout était normal. Elle vit en permanence accompagnée d’un garde ou d’un chauffeur qui remonte le moindre de ses faits et gestes à son père. Mais en février 2018, c’en est trop et elle décide à nouveau de fuir. Avant l’évasion, elle enregistre une vidéo de 39 minutes, qui ne sera dévoilée et mise en ligne sur YouTube par un proche qu’après l’évasion. « Je fais cette vidéo car il pourrait s’agir de la dernière vidéo que je fais. Oui… Prochainement, je vais… en quelque sorte partir. Et je ne suis pas certaine de l’issue de tout ça. Mais je suis sûre à 99% que ça marchera. », raconte la princesse Latifa. « Il faut que je fasse cette vidéo, au cas où il m’arriverait quelque chose. Ça ne sera pas fait pour rien. Quelqu’un aura ces images. Je dois bien me souvenir de tout raconter parce que ça pourrait être ma dernière vidéo. »

YouTube video

Comment s’est déroulée la fuite de la princesse Latifa ?

Latifa et son amie finlandaise Tiina Jauhiainen, qui aurait été son ancienne prof de capoeira, partent en balade en jet-ski, le 24 février 2018. Elles s’éloignent et parviennent à quitter la frontière maritime du sultanat d’Oman. Elles arrivent à monter à bord d’un yacht, le Nostromo, sur lequel serait présent Hervé Jaubert, un ancien agent de renseignement français. Jusque-là, l’opération préparée depuis quelques mois fonctionne à la perfection. Elle vivra quelques jours sur le yacht, protégée dans les eaux étrangères. Depuis le navire, elle poste des messages sur les réseaux sociaux pour expliquer qu’elle a bien fui le pays.

La princesse Latifa à côté de son amie finlandaise Tiina Jauhiainen avant l’évasion (photo : BBC)

Le yacht Nostromo disparait près des côtes indiennes…

Au bout d’une semaine, le Nostromo, qui approche des côtes indiennes sait qu’il est suivi. Hervé Jaubert contacte même un journaliste en Inde, le 3 mars, pour le prévenir qu’ils arrivent et qu’ils auront besoin d’aide une fois arrivés sur le sol indien. Le lendemain, le Nostromo est porté disparu, alors qu’il approchait des côtes de Goa. À bord se trouvaient la princesse Latifa, la Finlandaise Tiina Jauhiainen, Hervé Jaubert et trois Philippins membres de l’équipage. Les renseignements indiens et la Garde côtière se refusent de commenter la disparition, ne voulant pas expliquer comment un yacht pouvait disparaitre.

Soudainement, le 20 mars, le Nostromo apparait au port de Fujaïrah, aux Émirats arabes unis, mais à son bord, il n’y a plus que Hervé Jaubert et l’équipage philippin. Le 22 mars, Tiina réapparait et rejoint la Finlande, en transitant par Londres. Parallèlement, un Français résidant à Oman est arrêté. Il serait un ami proche de Tiina et aurait aidé Latifa à s’échapper le jour de leur balade en jet-ski. Cet homme considéré comme complice arrive à s’enfuir et rejoindre le Luxembourg. Finalement, les Émirats arabes unis abandonnent son mandat d’extradition, préférant étouffer toute l’affaire. Le Bureau d’enquête finlandais abandonne lui aussi son enquête, étant donné que Tiina est revenue et l’affaire est ainsi étouffée. La seule personne ayant réellement disparue est la princesse Latifa.

Le raid du Nostromo au large de l’Inde

En juin 2018, Tiina Jauhiainen accorde une interview à The Times et Hervé Jaubert parle lui aussi dans la presse. Leurs versions des faits concordent. Ils racontent l’incroyable raid dont ils ont été victimes à l’approche de Goa, en Inde. Ils se savaient suivis et ils avaient raison. Visiblement les autorités indiennes ont collaboré avec les autorités émiraties et ont participé à l’arraisonnement du yacht. Trois navires de guerre indiens et deux navires émiratis coincent le Nostromo. Des militaires armés sortent des navires et au moins une dizaine d’autres militaires sautent depuis un hélicoptère, à bord du yacht. Les militaires bandent les yeux des passagers et les passent à tabac.

La prince Latifa hurle sa demande d’asile aux militaires indiens, qui visiblement ne comptent pas l’aider. « Je réclame l’asile politique ! S’il vous plaît, ne me ramenez pas, tuez-moi plutôt », aurait crié en anglais la princesse, selon les propos rapportés par Tiina. Selon Tiina et Hervé Jaubert, leurs vêtements sont en lambeaux, Hevré Jaubert a le visage contusionné. Toujours les yeux bandés, ils ne savent pas ce qu’il se passe. Lorsqu’on leur redonne la vue, ils sont au port de Fujaïrah et sont séparés. Hervé reste à bord et le yacht est envoyé au Sri Lanka. Tiina va encore devoir subir des interrogatoires, avant d’être relâchée grâce à l’intervention des autorités finlandaises.

Où se cache la princesse Latifa ?

Officiellement l’émirat de Dubaï a expliqué que l’incident était une conspiration étrangère et notamment du Qatar, voulant aussi rassurer la presse sur l’état de santé de la princesse. L’émirat assure qu’elle va bien et qu’elle est de nouveau auprès de sa famille, ne voulant plus commenter l’histoire, étant une « affaire privée ». S’il y a de fortes chances qu’elle se trouve effectivement auprès de sa famille, on ignore tout de ses conditions de vie. Elle affirmait avoir déjà fait 3 ans de prison lors de sa première tentative de fuite en 2002. Peut-être connait-elle le même sort actuellement. Personne ne sait où elle est et ce qu’elle vit.

Source : The Guardian

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr