La corne de licorne, un mythe royal intemporel

Gri-gri, objet fétiche, porte-bonheur, la liste est longue de ces garde-fous que forge l’inépuisable croyance des hommes dans la protection magique dont il faut s’entourer, sous peine de disparaître, victime de maléfices. Et proie des opposants, de ceux qui partout, sous toutes les latitudes et à toutes les époques, ont vocation à prendre pour eux-mêmes la place enviable de l’adversaire, du rival.

Ce qui est vrai du commun des mortels l’est au plus haut degré des souverains, par définition exposés, dans leurs royales personnes, aux jalousies, aux intrigues les plus basses et les plus perverses.

Comment s’en prémunir ? De tout temps, les moyens, les rituels n’ont pas manqué aux monarques mais aucun n’a suscité un engouement aussi exclusif, rencontré une si complète adhésion que l’emblème de cet animal légendaire, la licorne, universellement célèbre pour les pouvoirs prêtés à sa corne.

Jeune fille vierge et licorne, fresque peinte en 1604

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Un animal de légende

Depuis l’Antiquité, cet animal légendaire hante les récits, a une postérité dans des cultures très diverses. Sa corne unique aurait un pouvoir de contrepoison et on sait à quel point le poison était une arme prisée pour se débarrasser sans trop d’inquiétudes d’un adversaire, faute de preuves que la médecine restait impuissante à fournir.

Posséder une corne de licorne, y boire, devenait une assurance sur la vie, un gage de longévité que les puissants rêvaient de conquérir. Comme les fées, les sorcières, les dragons, cet animal qui n’en est pas un acquiert une dimension mythique, dont s’empare l’imaginaire royal, car l’unicorne est, comme la personne royale, unique et sans pareille.

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Un symbolisme de pouvoir

Bien avant le docteur Freud, le symbolisme de la licorne apparaît au grand jour : c’est un emblème du pouvoir, du phallus conquérant que l’on associe, au Moyen-Âge, à une jeune et belle vierge. L’animal à la corne triomphante s’adoucit auprès d’une belle jeune femme qui l’accueille dans son sein et en devient inséparable.

Comment résister à la fascination de la « Dame à la licorne », merveilleuse tapisserie du début du XVIe siècle ?

Parallèlement à ce symbolisme d’amour et de fertilité, les pouvoirs supposés de la corne de licorne pour résister au poison progressent. La découverte du narval, animal marin bien vivant, on ne peut plus réel, va prolonger la légende en donnant une forme, une enveloppe palpable, à la substance censée faire œuvre de résurrection.

Un mammifère des mers

C’est au XVIIIe siècle seulement que l’on fait véritablement le lien entre la corne de licorne, contrepoison présumé, et le mammifère marin porteur d’une dent imposante, une défense en fait. Cet animal fut sans doute à l’origine du fructueux commerce des cornes magiques, tel qu’il fut pratiqué des siècles durant. La certitude que l’excroissance si fameuse appartenait au narval, espèce tout à fait inoffensive, mit du temps à s’imposer, à convaincre, après tant d’années mystificatrices. Le Siècle des Lumières expose les faits mais la croyance est tenace et il n’est pas certain qu’elle ait partout disparu…

Une dent de narval présentée comme une corne de licorne (Photos : Wikimedia Commons)

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La peur du poison… et ses conséquences

Depuis le roi Mithridate, on sait que prendre d’infimes doses de poison permet d’accoutumer le corps et de forger une résistance en conséquence. Néanmoins, on ne sait si la corne de licorne a véritablement guéri quiconque du poison, sans doute n’a-t-elle pas nui, ce qui est beaucoup. Ce pouvoir de guérison supposé s’est vite confondu avec le pouvoir tout court. La distinction par la possession des biens les plus rares ne confère-t-elle pas à ses détenteurs une aura unique, en raison de l’extrême rareté de la licorne, créature que personne n’a jamais vue ? Que la licorne n’existe pas n’empêche pas d’y croire ! Rois, princes, grands ministres se doivent d’en détenir un morceau, un fragment, parfois sous forme de poudre. Cette possession est si précieuse qu’elle demeure cachée, sa valeur en revanche est connue : c’est un cadeau hors de prix, un luxe époustouflant, à destination royale, tel celui qu’offre le pape Clément VII au roi de France François Ier.

Mazarin, Laurent le Magnifique possédaient ce trésor, acheté en dépensant une fortune. L’empereur Charlemagne s’était vu offrir une corne de licorne par le calife abbasside Hâroun ar-Rachîd ben Muhammad ben al-Mansûr qui mourut en l’an 809. Impossible de mieux se représenter, à l’évocation de ce cadeau mariant l’Orient et l’Occident, la force magique, la puissance de ce contrepoison mythique. Un cadeau qui en dit long sur la crainte qu’éprouvaient les puissants d’autrefois d’être détrônés, assassinés, empoisonnés, sur leur absence d’illusion quant à la loyauté de certains membres de leur entourage.

Les armoiries royales du Royaume-Uni avec une licorne (Image : Wikimedia Commons)

La corne de licorne reste indissolublement partie prenante de la royauté ; en témoignent l’ancien trône de Danemark, le sceptre et la couronne impériale autrichienne qui en ont adopté la forme et la matière… supposées.

Sources : Universalis, France Culture, Techno-Science

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.