L’empereur qui ne voulait pas mourir : Qin Shi Huang, le premier empereur de Chine

Penser que l’immortalité existe, qu’elle vous est due, puisque vous êtes l’empereur et que vous dominez tout, un immense pays, des hommes par milliers, est-ce si déraisonnable ? N’y aurait-il pas une certaine logique à cela, une sorte de démesure induite par les pouvoirs exorbitants entre les mains de ceux qui règnent au-dessus du justement nommé « commun des mortels » ? Celui qui est considéré comme le premier empereur, à son avènement en 247 av. J.-C., celui qui a donné son nom à la Chine, Qin Shi Huang, était-il aveuglé par sa propre importance ou bien la peur, si répandue, de la mort s’était-elle emparée de lui jusqu’à devenir une obsession incontrôlable ? 

L’immortalité du premier empereur de Chine. Portrait fictif de Qin Shi Huang réalisé au 18e siècle (Image : Domaine public)

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S’abriter de la mort ? 

L’empereur, né vers – 259, s’est occupé très jeune de surmonter la loi qui met fin à chaque vie humaine, de mettre en œuvre son refus, absolu, total, d’y souscrire. Un refus que certains attribuent à plusieurs tentatives d’assassinat qui auraient provoqué, en toute rationalité, une crainte récurrente.

Cependant, ne peut-on croire aussi que c’est mû par un immense orgueil, un « ego » sans égal, et la peur irrationnelle de disparaître un jour, qu’il ordonne la construction d’un mausolée gigantesque où une armée de près de 8 000 soldats veillera sur lui, assurant son pouvoir éternel au-delà de la mort terrestre ?

Cette construction durera une quarantaine d’années, mobilisant de force quelque 700 000 serviteurs. Aujourd’hui connus et admirés depuis leur découverte due au hasard en 1974, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO comme le mausolée lui-même, les soldats de terre cuite, dont le visage, l’expression, le costume tiennent leur origine de l’entourage impérial vieux de plus de deux mille ans, fascinent par ce qu’ils révèlent de la volonté impitoyable qui a présidé à leur existence.

Mais les soldats de terre ont eu des compagnons de chair et d’os, dont, à la mort du souverain, il fut jugé que la vie ne pouvait leur être accordée plus longtemps qu’à leur seigneur suprême : ouvriers et artisans du palais souterrain, concubines du monarque qui ne lui avaient pas donné de fils furent mis à mort sans délai…  

L’armée de terre cuite de Qin Shi Huang (Photo : Wikimedia Commons)

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L’immortalité par décret

Bâtir pourtant ne suffit pas, il faut chercher plus et mieux encore, traquer, dans l’univers entier, sous toutes ses formes, l’invisible pouvoir d’immortalité. La Chine d’alors est persuadée que la magie, les devins, les astrologues peuvent conduire à la vie éternelle et que les êtres exceptionnels, tels les empereurs, ne peuvent connaître le destin limité des plus humbles.

Il doit exister quelque part un philtre, une potion, une plante inconnue et il faut les approcher, les trouver, les reconnaître, s’en emparer coûte que coûte. Le premier empereur ne cachait pas à son peuple son plus cher désir, accéder à l’immortalité. Au contraire, il l’en avait fait acteur. Comme en témoigne la stupéfiante découverte, en 2002, d’un texte qui se révèle un décret impérial, un ordre adressé à l’administration du pays tout entier, de chercher par tous les moyens l’élixir d’immortalité qui mettra l’empereur à l’abri de la mort.

Ce texte, inscrit sur des lamelles de bambou reliées entre elles par des ficelles –  support de l’écriture avant l’invention du papier -, ordonne à l’administration nationale de trouver à l’intention de l’empereur un élixir de jouvence et d’éternité. Les réponses embarrassées que reçut le tout-puissant monarque montrent la peur qu’inspirait à ses malheureux sujets la phobie du souverain : on n’avait pas encore trouvé, certes, mais, avec respect et soumission, il allait de soi que l’on continuerait à inventorier toutes les possibilités.

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La quête d’éternité

On cherchait en effet, et sur terre et sur mer ; sur terre les herbes magiques aux pouvoirs encore inconnus, les perles précieuses de jade et de mercure supposées faire gagner quelques années de vie ; sur mer, à la conquête d’îles mythiques, par le moyen d’une flotte de 3 000 jeunes gens, filles et garçons vierges, qui ne revinrent jamais de leur périple mais dont la trace demeure peut-être au Japon. On cherchait désespérément et le temps passait…

L’empereur se gardait de tout et de tous, absorbant les perles rouges de cinabre, ce « sang de dragon », du sulfate de mercure dont les historiens présument qu’elles ne sont autres que… la cause de sa mort, à l’âge de 49 ans, en 210 avant notre ère.

L’impitoyable empereur Qin Shi Huang a unifié la Chine (Image : Wikimedia Commons)

Une stature d’immortel

Pourtant, pour ses sujets, Qin Shi Huang a conquis durant son règne une stature d’immortel. N’a-t-il pas réalisé l’exploit d’unir l’empire de Chine, en mettant fin aux luttes que se livraient sans relâche les Royaumes Combattants ? Une unification d’envergure magistrale qui s’étend à la langue, à la monnaie, aux lois, aux mesures, aux routes ; qui donne au nouvel empire sa forme actuelle et son endurance séculaire.

Si rien ne saurait faire oublier les exactions de l’empereur, ses crimes envers l’esprit – autodafés des ouvrages classiques – et les hommes – mise à mort des lettrés et de tant d’autres -, son comportement de despote, sa terrible cruauté, il n’en demeure pas moins que son œuvre a façonné ad vitam aeternam le visage de ce continent si différent de nos contrées. 

Sources : Le Figaro, GEO, Cairn, WSI Magazine

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.