Charles VI : les intermittences de la folie d’un roi

De l’entourage d’un roi dépendent souvent les directions que prend l’Histoire, les meilleures comme les pires. Lorsque, à l’âge de onze ans, le fils de Charles V « le Sage » est sacré roi à Notre-Dame de Reims, le 4 novembre 1380, les riches et puissants oncles de l’enfant – Louis d’Anjou, Jean de Berry, Louis de Bourbon et Philippe de Bourgogne dit le Hardi – se voient confortés dans leur position, ils assureront la régence, dilapideront à leur profit les finances du royaume que Charles V avait assainies. À sa majorité, Charles VI va reprendre avec succès les rênes du pouvoir, mais une étrange folie ponctuera de ses terribles assauts un règne de plus de quarante années.

Couronnement de Charles VI en présence de ses oncles. Tableau de Jean Fouquet vers 1455 (Image : domaine public)

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Le peuple avec lui

La France de la fin du 14e siècle est une mosaïque de provinces tenues par des nobles puissants et soumis, pour nombre d’entre eux, à l’influence anglaise. Charles VI cependant va se montrer capable d’écarter du pouvoir ses oncles prévaricateurs. Il ira jusqu’à rappeler auprès de lui les conseillers de son père, ces « Marmousets » – nom  ironiquement donné par la cour et qui signifie « petits vieux » -, ces ministres qui préfigurent le rôle de la bourgeoisie et des notables auprès des monarques éclairés et s’opposent aux « Grands » du royaume.

S’entourer de juristes et de financiers avisés montrait la maturité et la sagesse de ce jeune roi, qui par ailleurs se révèle très populaire. Il connaît des succès militaires, se montre ferme et déterminé. Le peuple lui accorde sa confiance. Ne le surnomme-t-on pas déjà « le Bien-Aimé » ?

Charles VI en habits de sacre (Image : domaine public)

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La première alerte

Chef d’armée, le roi a décidé, ce 5 août 1392, de se rendre lui-même en Bretagne où se serait réfugié l’auteur de la tentative d’assassinat du connétable Olivier de Clisson. Par ce dimanche d’été, prêt à combattre le duc de Bretagne qui aurait accueilli l’assassin, accompagné d’une armée nombreuse, note le chroniqueur Froissart, le roi de France chevauche. Il a assisté le matin à la messe. 

Il est reparti, bravant la chaleur étouffante et torride, guidant ses soldats. Il porte un surcot de velours noir, sur la tête un chapeau écarlate. L’historien Jacques Bainville retrace ainsi la scène, qui a tant marqué les contemporains et inspiré aux plus grands artistes des tableaux, des sculptures au cours des siècles suivants, immortalisant ce moment qui fut à proprement parler stupéfiant et crucial : « Un homme tout habillé de blanc parut sur la route. Il se jeta vers le cheval du roi et le prit par la bride en s’écriant : “Arrête, noble roi. Ne va pas plus loin. Tu es trahi.” ». Au bruit que fait alors une lance tombant sur une armure, le roi, subitement fou furieux, se précipite sur ses compagnons et tue quatre d’entre eux avant d’être maîtrisé.

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La nature du mal

Pour les hommes du XIVe siècle, la fureur subite de Charles n’a pas d’explications, hors l’empoisonnement (on rapporte une rumeur qui prétendait que l’eau des rivières avait été empoisonnée) et… la sorcellerie. Pour combattre le mauvais sort qui s’acharne sur Charles, des sorciers s’activent dans tout le royaume, allant jusqu’à enchaîner douze hommes dans un cercle de fer et prononçant, en vain, force incantations ; certains de ces sorciers seront brûlés parce que leur magie est inopérante.

Aujourd’hui, on avance l’idée de la schizophrénie, de la bipolarité, de la paranoïa, mais les preuves manquent. Charles VI aurait été en outre convaincu d’avoir des os en verre et, par crainte de se briser en tombant, aurait fait confectionner des attelles de fer dont il se couvrait le corps. Le roi est fou, cela se sait dans toutes les cours d’Europe et les épisodes de folie délirante vont se succéder, certains marquant les esprits comme le tragique Bal des Ardents l’année suivante. Lors d’une fête, une torche prend feu et plusieurs jeunes nobles périssent dans d’atroces souffrances sous les yeux du roi, qui reste commotionné. Les crises ne cesseront plus, intermittentes, laissant place à des périodes où le roi raisonne de manière saine. Mais les oncles de Charles, avec l’appui de la reine Isabeau, ont repris le pouvoir. Comment laisser gouverner un roi fou ?

Représentation du Bal des ardents (Image : domaine public)

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Le royaume de France en danger

La rivalité qui oppose les partisans de deux camps, les Armagnacs et les Bourguignons – Armagnacs qui soutiennent Louis d’Orléans, frère cadet du roi, dans sa volonté de renforcer le pouvoir royal, Bourguignons qui s’appuient sur la noblesse et la bourgeoisie de Paris et du Nord et se rallient bientôt aux Anglais – dégénère en véritable guerre civile. Le désastre de la bataille d’Azincourt en 1415 livre la France aux pillages, aux désordres et aux exactions alors que la guerre de Cent Ans a repris.  Les Anglais semblent l’emporter et le pire advient lorsque le roi fou choisit de se soumettre au roi d’Angleterre Henri V, spoliant de ses droits son propre fils Louis, dauphin et futur Charles VII. C’est l’infamant traité de Troyes, le 21 mai 1420, qui enlève au fils de Charles VI et de la reine Isabeau – la reine hélas est complice – toute possibilité de régner. Le futur roi de France sera anglais.

Mais Charles VI meurt deux ans plus tard et le dauphin humilié, chassé, croisera le chemin d’une petite paysanne inconnue, née en Lorraine, qui le mènera quelques années plus tard à la reconquête de ses droits et de la France…

Sources : Le Figaro Plus, Capsellae, Hérodote, Trad’Histoire, Histoire pour tous, Le Point

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.