Sophie Chotek était belle, issue de la noblesse tchèque, serviable, intelligente, polyglotte, femme aimante, maman chérie, elle avait tout pour plaire et séduire ceux qui la rencontraient. Pourtant, elle sera boudée, rejetée par la cour et finalement assassinée. Sophie Chotek fut l’épouse de l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche, mère de ses trois enfants. François-Ferdinand l’aimait éperdument, quitte à mettre la dynastie en danger. Assassinés tous les deux en juin 1914, leur mort est l’un des casus belli les plus célèbres de l’histoire, même si les livres parlent bien plus de la mort de l’héritier du trône que de la mort de Sophie Chotek, que l’on considérait simplement comme « son épouse ».
Lire aussi : La mort du roi Albert 1e : mort en 1934, une partie de l’énigme résolue en 2016
Quand la comtesse Sophie devient la dame d’honneur de l’archiduchesse Isabelle
Sophie Chotek de Chotkowa et Wognin est née le 1e mars 1868. Elle était l’une des 7 enfants du comte Bohuslaw Chotek de Chotkow et Wognin et de la comtesse Wilhelmine Kinsky de Wchnitz et Tettau. Née à Stuttgart, ses parents sont tous deux issus de la noblesse tchèque sans distinction royale ni princière. Son père est diplomate, ce qui l’amène à voyager énormément durant son enfance. Elle reçut une éducation des plus distinguées et parlait de nombreuses langues.
Cette fratrie de bonne famille, dont les deux parents moururent avant que Sophie ait l’âge de 30 ans, se trouva vite livrée à elle-même. Évoluant dans les hautes sphères de la société, l’une des sœurs de Sophie, Zdenka, fut engagée comme femme de chambre de l’archiduchesse Isabelle. L’archiduchesse Isabelle était l’épouse de l’archiduc Frédéric, arrière-petit-fils de l’empereur François 1e d’Autriche. La comtesse Zdenka démissionna, préférant s’engager dans les ordres, en tant que fervente catholique. En partant, Zdenka propose à l’archiduchesse Isabelle de la remplacer par sa sœur, la comtesse Sophie. La comtesse Sophie va travailler plusieurs années auprès de l’archiduchesse en tant que dame d’honneur.
Sophie s’attire les foudres de l’archiduchesse Isabelle
L’archiduchesse Isabelle, née Isabelle de Croÿ, avait eu 9 enfants, 8 avaient survécu, dont 7 étaient des filles. Elle n’avait qu’une obsession, faire en sorte que l’une de ses filles épouse le célibataire le plus convoité du moment, l’héritier du trône impérial d’Autriche, l’archiduc François-Ferdinand.
Depuis 1889, François-Ferdinand était devenu le jeune homme le plus convoité de l’Empire. Cette année-là, il fut désigné comme héritier d’Autriche, à la mort de son cousin, l’archiduc Rodolphe, fils unique de l’empereur François-Joseph 1e et de l’impératrice Élisabeth, dite Sissi.
François-Ferdinand accepta l’invitation de l’archiduchesse Isabelle, qui avait arrangé sa venue afin qu’il rencontre sa fille aînée Marie-Christine. François-Ferdinand reviendra à plusieurs reprises dans la demeure de Presbourg. L’archiduchesse Isabelle, enjouée, pense qu’il apprécie la compagnie de ses filles. Mais il n’en est rien. En réalité, il n’a d’yeux que pour la dame de cour de l’archiduchesse, Sophie Chotek. Les deux amants se voient en cachette et partagent leur foi catholique et leur amour pour Prague.
Un beau jour, l’archiduchesse bien curieuse fouille dans la montre à gousset oubliée chez elle par celui qu’elle rêvait d’avoir pour beau-fils. Horreur, elle découvre à l’intérieur non pas des portraits de ses filles mais elle reconnait le visage de sa dame de chambre. Enragée, elle renverra Sophie Chotek et s’assura de faire jouer toutes ses relations pour la faire bannir des toutes les cours d’Autriche.
Le sacrifice dynastique de François-Ferdinand par amour
L’histoire d’amour entre François-Ferdinand et la comtesse n’est plus un secret pour personne. Leur amour perdure et la question du mariage se fait de plus en plus pressante. L’empereur comprend la situation dans laquelle se trouve son neveu, même s’il la trouve bien embarrassante. La comtesse Sophie n’est pas de sang royal et le potentiel mariage de François-Ferdinand avec une femme de rang inférieur pourrait lui couter son trône.
L’empereur a deux solutions, accepter le mariage morganatique de son héritier ou l’obliger à renoncer à sa prétention au trône. Le problème de cette deuxième option aurait fait de son frère, l’archiduc Otto, son héritier. Or, la réputation d’Otto et ses mœurs scandaleuses auraient causé d’autres soucis à la couronne.
Sophie Chotek et l’archiduc François-Ferdinand se marièrent donc le 1e juillet 1900, avec l’accord de l’empereur, tout en y ajoutant ses conditions. Sophie Chotek ne serait connue que par ses titres nobiliaires tchèques, ne deviendrait pas archiduchesse et ne serait pas considérée comme un membre de la famille impériale austro-hongroise. De plus, leur future descendance ne pourrait pas être dynaste, considérant ce mariage comme morganatique. Par conséquent, l’héritier désigné après François-Ferdinand est le jeune Charles, fils d’Otto.
Le mariage heureux et la vie famille paisible de Sophie et François-Ferdinand
François-Ferdinand et Sophie ont 4 enfants, dont 3 survivent. Non dynastes, ils ne sont pas archiducs, néanmoins, l’héritier du trône réussit à faire obtenir un titre à son épouse et leurs enfants. L’empereur accepte que Sophie soit duchesse de Hohenberg. Ses 3 enfants, Sophie, Maximilien et Ernest sont ducs et duchesse de Hohenberg.
François-Ferdinand et sa famille vivent paisiblement entre Vienne et à Konopiště, en Bohême. Ils essaient néanmoins d’éviter au maximum la vie à la cour, Sophie et sa descendance étant toujours snobés pour leur rang inférieur. Le chef du protocole s’arrange toujours pour respecter l’ordre de bienséance, faisant toujours passer Sophie et ses enfants, après tous les archiducs. C’est l’archiduchesse Marie-Josèphe, épouse d’Otto, qui remplissait le rôle de cavalière lorsque l’archiduc héritier devait être accompagné. Plusieurs cours européennes sont embarrassées lorsqu’elles doivent inviter le couple, ne sachant quel statut accorder à Sophie.
L’assassinat à Sarajevo
En juin 1914, l’héritier du trône est invité à Sarajevo. Il est accompagné de son épouse, Sophie. Une fois de plus, de nombreux événements protocolaires habituellement réservés aux invités royaux sont annulés. Sophie et François-Ferdinand n’auront pas droit à un cortège d’accueil et surtout, ne bénéficieront pas de protection de l’armée.
La situation est très tendue en Bosnie-Herzégovine, la visite du 28 juin coïncidant également avec un jour de fête serbe. À 10h15, la limousine de l’archiduc-héritier échappe à un premier attentat. Un groupe de six conspirateurs hésite à tirer, la présence de quelques policiers rendant la manœuvre compliquée. Néanmoins un bombe est maladroitement lancée, touchant et faisant exploser une autre voiture du convoi.
L’archiduc-héritier et son épouse arrivent à l’hôtel de ville de Sarajevo et François-Ferdinand demande à bouleverser son programme pour aller visiter les victimes de la bombe. À cause d’un concours de circonstances malheureux, d’un bouleversement de programme créant la confusion, le déplacement de l’archiduc-héritier est totalement imprudent. Et pour cause, un dernier conspirateur, Gavrilo Princip, se trouve sur le parcours et tente sa chance. Il préfère ne pas lancer sa bombe et tirer directement avec son arme, un Browning M1910. La premier balle touche Sophie Chotek dans le ventre, la deuxième traverse le cou de l’archiduc-héritier.
Les deux victimes sont immédiatement conduites à la résidence du gouverneur et un médecin tente de les sauver. Ils se vident rapidement de leur sang et meurent d’exsanguination en 15 minutes. Ils avaient 50 et 46 ans, et laisseront derrière eux trois enfants de 10 à 12 ans.
La mort de l’archiduc-héritier provoque une onde de choc en Europe et même au-delà. L’Autriche-Hongrie lance un ultimatum aux Serbes, qu’ils refusent, soutenus par les Russes. N’ayant pas eu la réponse souhaitée à cet avertissement, l’Autriche-Hongrie, soutenue par l’Allemagne, déclare la guerre aux Serbes. Le jeu des alliances provoque une réaction en chaine et une guerre à l’échelle européenne se déclare, ainsi débutera la Première Guerre mondiale.
N’étant pas membre de la famille impériale, il était impensable de pouvoir enterrer Sophie Chotek dans la crypte des Capucins à Vienne. François-Ferdinand avait fait construire une chapelle dans le château d’Artstetten pour que sa femme puisse y reposer. Ils eurent droit à une cérémonie privée, à laquelle quelques officiels autrichiens et membres de la famille ont participé. Depuis le 4 juillet 1914, ils reposent côte à côte dans la chapelle.
Lire aussi : Michel 1e : le premier tsar de la dynastie Romanov