Il y a des cadeaux empoisonnés que seuls les empereurs peuvent se permettre. Napoléon n’a pas hésité à dépenser 240 000 francs pour offrir une somptueuse tiare pontificale au pape Pie VII. Outre le généreux cadeau, l’empereur s’assurait simplement que le souverain pontife possède ce prestigieux accessoire à ses côtés, pour assister à son propre couronnement. Pire, le pape n’a pu porter la tiare ce jour-là, le bijou de la future maison Chaumet ayant été conçu expressément trop petit pour tenir sur une tête humaine.
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Une tiare papale pour le souverain pontife
La tiare papale est la couronne des papes, souverains des États pontificaux. Il est l’équivalent solennelle de la mitre papale, qui elle est le symbole du pouvoir religieux. La tiare apparait toujours sur le drapeau du Vatican. La tiare représentée depuis 1929 sur le drapeau jaune est blanc est celle utilisée par Pie XI, qui lui avait été offerte par l’archidiocèse de Milan en 1922.
De tous temps, les souverains pontifes ont porté une tiare. À partir de Boniface VIII au 13e siècle, la tiare était composée de deux couronnes superposées. Et depuis Jean XXII au 14e siècle, la tiare est composée de trois couronnes, raison pour laquelle la tiare porte officiellement le nom de Trirègne. Comme l’explique le Vatican, les «trois règnes» du pape sont ses trois pouvoirs, à savoir père des rois, régent du monde et vicaire du Christ.
Lors des derniers règnes, le port de la tiare est devenu facultatif et Paul VI fut le dernier à porter la tiare. Il fera don de l’une d’entre elles aux pauvres en 1964, lors du Concile Vatican II. Il sera aussi le dernier pape à avoir droit à un couronnement en 1958.
Un cadeau ou une humiliation de Napoléon aux États pontificaux ?
Les papes ont porté la tiare pendant des siècles, symbole de la puissance et de la richesse de l’Église. Fin du 18e siècle, les États pontificaux sont mis à mal par la Révolution française. Les territoires papaux du nord sont saisis et rejoignent la République cisalpine. Le pape Pie VI est capturé, prisonnier en France où il mourra en 1799. La République cisalpine deviendra la République italienne en 1802, puis en 1805, elle se transformera en royaume d’Italie, dont Napoléon fut le Roi. En 1800, six mois après la mort de Pie VI, les États pontificaux sont restaurés grâce aux troupes napolitaines qui ont repris Rome. Pie VII fut élu pape. Les États pontificaux finiront par être repris par les Français en 1808 et annexés à l’Empire français. Ils formeront les départements français du Tibre et de Trasimène.
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La tiare pontificale Chaumet offerte par Napoléon
Durant tout le règne de Pie VII, un jeu de pouvoir s’était instauré entre le souverain pontife et le souverain impérial français. Comme ultime pied de nez au pape, Napoléon avait offert une tiare pontificale des plus somptueuses. Non seulement cette tiare symbolisait la main tendue de l’empereur et prouvait sa générosité, mais en plus, ce cadeau garantissait que le pape soit entouré de ses plus prestigieux atours lorsqu’il allait assister au couronnement de l’empereur.
La tiare offerte par Napoléon apparait sur le célèbre tableau de Jacques-Louis David représentant le Sacre de Napoléon à Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804. Le pape ne porte pas la tiare sur le tableau… pour une bonne raison. Ne souhaitait-il pas faire de l’ombre à la star du jour ? Pas vraiment. Napoléon avait simplement offert une tiare bien trop petite pour qu’elle tienne sur la tête du pape. Pire, la tiare pesait plus de 8 kilos, ce qui rendait presqu’impossible de la garder sur la tête durant toute une cérémonie.
Ce cadeau diplomatique est très certainement l’un des plus prestigieux que l’on connaisse. La tiare papale est signée par Marie-Étienne Nitot, fondateur de la maison Chaumet, fabriquée par l’orfèvre Henri Auguste et conçue et dessinée par l’artiste sculpteur Jean Guillaume Moitte. Par la suite, la maison Chaumet restera le joaillier préféré de l’empereur Napoléon et de l’impératrice Joséphine.
Au sommet de la tiare, se trouve l’émeraude de Grégoire XIII. Il s’agit donc d’un élégant cadeau de Napoléon, qui rend au pape l’émeraude que la papauté avait dû céder avec d’autres joyaux à la France, à titre de dommages de guerre. Pie VI s’était séparé de l’émeraude en acceptant le traité de Tolentino, quelques années auparavant. Cet émeraude ornait la tiare pontificale de Grégoire XIII conçue par l’orfèvre Cristofora Foppa au 16e siècle. En réalité, l’émeraude faisait partie des joyaux de la papauté depuis plus d’un demi-siècle auparavant. Jules II, qui fut pape de 1503 à 1513, fut le premier à posséder la pierre, dont le nom «émeraude Jules II» que l’on utilise parfois pour désigner la pierre.
Les légendes autour de cet émeraude de 114 carats sont nombreuses. La pierre précieuse inspira même Alexandre Dumas, qui lui trouva une place dans un passage du célèbre Comte de Monte-Cristo. Le comte de Monte-Cristo dit avoir trois émeraudes dont l’une d’elles a été offerte «à notre saint-père le pape, qui l’a fait incruster sur sa tiare en face d’une émeraude à peu près pareille, mais moins belle cependant, qui avait été donnée à son prédécesseur, Pie VII par l’empereur Napoléon».
La tiare est faite de bois, de papier collé et de velours de soie. D’autres pierres précieuses ornaient à l’origine la tiare, dont huit rubis. Lors de la restauration récente de la tiare par les ateliers de la maison Chaumet, avant de l’exposer à Tokyo, le New York Times a voulu en savoir plus sur la provenance de l’émeraude. Guillaume Robic, directeur du Patrimoine de Chaumet, était incapable d’assurer la provenance de la pierre. «Vient-elle d’Amérique ou d’Europe ? Viking? Dur nord de l’Iran ? d’Inde ?» Aucune hypothèse ne peut être vérifiée.
Sur chacune des trois couronnes, des bas-reliefs représentants et rappelant le régime concordataire français, l’abrogation de la Constitution civile du clergé ou encore le couronnement de Napoléon (avant que celui-ci ait donc lieu). Bien que ce cadeau était conséquent, il faut dire que l’empereur avait pourtant promis au pape de lui offrir aussi un autel et deux somptueux carrosses afin de s’assurer sa présence à son sacre. Finalement, seule la tiare sera envoyée au pape, qui n’oubliera pas, six mois plus tard d’envoyer une lettre à Napoléon pour le remercier.
Il faut dire que le pauvre Pie VII, qui avait été élu en exil à Venise, n’avait plus de tiare, à cause des Français. Lors de son couronnement, une tiare en carton avait été fabriquée. Grâce à Napoléon, il possédait à nouveau un décor digne de ce nom. Le cardinal Secrétaire d’État Ercole Consalvi fera enlever les bas-reliefs glorifiant Napoléon afin que la tiare soit présentable à d’autres occasions. Le pape Pie VII put alors la porter lors de certaines grandes célébrations, après l’avoir élargie. Les trois bas-reliefs représentent à présent trois scènes décrites dans la Bible.
Lors de la constitution de l’éphémère république des Provinces unies italiennes de 1831, la précieuse tiare papale a été ensevelie dans la terre, dans les jardins du Vatican. L’enfouissement endommagera la tiare, qui sera restaurée les années suivantes. Elle sera ensuite portée à de nombreuses reprises, notamment lors du couronnement de Pie IX en 1846. La dernière fois qu’elle fut portée était par ce dernier, lors du Concile Vatican I. Après la Première Guerre mondiale, le pape Benoît XV fera retirer l’émeraude et les rubis pour les revendre. L’argent récolté servira à soutenir les victimes de la guerre et les pierres précieuses seront remplacées par des fausses pierres en verre teinté.
Source : Frédéric Masson