70 ans de l’accession au trône de Rainier III : une succession arrangée

Il y a 70 ans, le 9 mai 1949, mourait le prince souverain Louis II de Monaco. À sa mort c’est son petit-fils, le prince Rainier III de Monaco qui s’installa sur le trône, sa fille Charlotte qui portait peu d’intérêt pour la politique, ayant cédé ses droits à son fils quelques années auparavant. En 1956, le prince Rainier III épouse l’actrice américaine Grace Kelly et ensemble, ils auront 3 enfants : la princesse Caroline, le prince Albert et la princesse Stéphanie. Le prince Rainier III fut souverain du Rocher jusqu’à sa mort, le 6 avril 2005, soit pendant 55 ans, 10 mois et 28 jours.

Le prince Rainier III était-il légitime ?

Plutôt que de revenir sur les événements marquants du règne de ce prince qui hérita de la principauté à la sortie de la guerre, nous avons choisi de parler de cette date du 9 mai 1949, considérée par certains comme étant celle qui marque l’installation sur le trône monégasque d’une famille illégitime. Quand on sait que le prince Rainier était le fils de la princesse Charlotte, elle-même fille de Louis II, lui-même fils d’Albert 1er, fils de Charles III, fils de Florestan 1er, fils d’Honoré IV, fils d’Honoré III, on se demande comment certains peuvent remettre en cause sa légitimité. Il faut pourtant remonter jusqu’à cet aïeul éloigné du prince Rainier pour comprendre l’histoire suivante.

Le prince Albert 1er, qui a régné de septembre 1889 à juin 1922, a commencé à s’inquiéter pour la suite dynastique de la maison Grimaldi, n’ayant qu’un seul descendant, le prince Louis, qui lui-même n’avait pas de descendants. Enfin, pas tout à fait. Le prince Louis avait eu une fille illégitime avec Marie-Juliette Louvet, une femme mariée à un photographe, Achille Delmaet. Notons déjà qu’il a fallu de peu pour que le prince Albert 1er lui-même n’ait aucun enfant.

En effet, le prince Louis est né du mariage arrangé entre Albert 1er et lady Mary Victoria Hamilton, fille du duc d’Hamilton. Enceinte de 5 mois, tellement malheureuse, lady Hamilton part rejoindre sa famille à Budapest et c’est sans son mari qu’elle accouche du prince Louis, né à Baden-Baden, en 1870. Après le divorce et l’annulation religieuse du mariage malheureux, Louis est rapatrié à Monaco. Il a 10 ans et rencontre son père pour la première fois. En 1889, le prince Albert 1e, souverain de Monaco depuis un mois seulement, épouse la veuve du duc de Richelieu, Alice Heine. Celle-ci devient princesse de Monaco à 41 ans, et ne peut évidemment plus avoir d’enfants, ce qui empêcha le prince Albert 1e de pouvoir espérer élargir sa descendance.

La menace se fait sentir sur le Rocher. Le prince Albert 1er a déjà 63 ans en 1911, et deux jours après son anniversaire, il décide d’accepter que son fils Louis, reconnaisse la paternité de Charlotte, sa fille illégitime, déjà âgée de 13 ans. Le 15 novembre elle devient donc Mademoiselle de Valentinois, reconnue comme fille du prince Louis. À cette date, Charlotte ne bénéficie que d’une reconnaissance de filiation comme étant la fille naturelle du prince et non une légitimité dynastique dans la famille, étant née hors mariage.

Quelques années plus tard, vers la fin de la Première Guerre mondiale, le prince Albert 1er a presque 70 ans et il comprend que son fils Louis n’aura plus d’autres descendants. Louis est officiellement le dernier descendant en ligne directe, ce qui veut dire qu’à sa mort, il faudra retrouver le plus proche cousin pour le faire monter sur le trône. On a connu des repêchages de cousins lointains parfois impressionnants, dans d’autres dynasties – rappelons le saut gigantesque d’Anne Stuart à George 1e de la maison de Hanovre – le seul problème dans ce cas-ci est le mauvais choix du sort. Le plus proche parent du prince Louis était son petit-cousin, Guillaume d’Urach. C’est aujourd’hui lui – et ses successeurs désignés – que certains voudraient voir régner sur la principauté de Monaco. Comment le prince Rainier III a-t-il alors succédé à Louis II ? Il faut d’abord s’intéresser à Guillaume d’Urach pour le comprendre.

Guillaume d’Urach est-il le prince légitime de Monaco ?

Guillaume d’Urach est né en 1864 à Monaco. Sa mère est la princesse Florestine de Monaco, fille du prince souverain Florestan 1e et sœur du prince Charles, futur prince Charles III. Celui-ci était le père d’Albert 1e. Guillaume d’Urach était donc le cousin germain du prince Albert 1e et donc petit-cousin du prince Louis II. Au final, le « grand-écart » généalogique entre Louis II et Guillaume d’Urach n’était pas été si important. À la mort de Louis II, le trône serait revenu à Guillaume, son petit-cousin, qui aurait été totalement légitime à cette place, étant le plus proche parent de Louis et le petit-fils d’un prince souverain, le prince Florestan. Pourquoi ne voulait-on pas de Guillaume d’Urach sur le trône monégasque ? Il faut regarder du côté de son père pour le comprendre.

Guillaume d’Urach est le fils de Frédéric de Wurtemberg-Urach. À la mort de son père, en 1869, il hérite du tire de duc d’Urach, et est de naissance comte de Wurtemberg. Après la Première Guerre mondiale, Monaco et la France redoutent qu’un comte allemand hérite du Rocher et puisse éventuellement faire de Monaco une base navale allemande. Pire encore, Guillaume d’Urach était un proche de l’empereur allemand Guillaume II, qui l’avait désigné comme roi de Lituanie en juillet 1918. Considéré comme un « pion » de l’empereur, Guillaume d’Urach s’apprêtait à devenir Mindaugas 1er – son nom de règne en tant que roi de Lituanie – mais le pauvre homme n’eut même pas le temps de mettre un pied dans le pays, que son règne pris fin 5 mois plus tard, en novembre 1918, lors de la défaite de l’Allemagne. La Lituanie proclame son indépendance et devient une république. Le roi de Lituanie est déchu et n’a plus que pour se consoler sa proximité familiale avec son petit-cousin, souverain de Monaco dont il risque d’hériter. Sauf qu’à Monaco, on ne l’entendait pas de la sorte !

Monaco fait changer la règle de succession au trône

Pour éviter que Guillaume d’Urach, roi déchu Mindaugas de Lituanie, devienne prince souverain de Monaco, et que la famille Grimaldi perde le trône, au profit de celle de Wurtemberg-Urach, le prince Albert 1er a décidé de modifier la règle de succession au trône. Raymond Poincaré, président de la République française, ancien avocat de la famille Grimaldi, a fortement insisté pour que le prince Albert trouve une solution afin d’éviter le changement dynastique, qui aurait eu des conséquences terribles pour le Rocher. En effet, la France et Monaco étaient tenus par des accords qui auraient fait perdre la souveraineté de Monaco dans le cas où le trône était transmis à une famille allemande. Pour éviter cette catastrophe, le prince Albert 1e fit ajouter au traité qui le liait à la France, quasiment le même jour où Guillaume d’Urach fut déclaré roi de Lituanie, qu’un héritier adoptif pourrait dorénavant entrer dans l’ordre de succession au trône monégasque.

Quelques mois plus tard, le 16 mai 1919, la fille naturelle du prince Louis, Charlotte, fut adoptée civilement par son grand-père, le prince souverain Albert 1er. Aux yeux de la loi, elle est donc considérée comme le deuxième enfant d’Albert 1er, alors qu’elle est biologiquement sa petite-fille. Cette adoption permet donc de contourner le fait qu’elle était d’abord perçue comme non-dynaste à cause de sa naissance hors mariage. Rappelons tout de même que dans un premier temps, Albert 1e a attendu 13 ans pour faire reconnaitre que son fils Louis en était le père. La voilà devenue non seulement fille naturelle de Louis II, héritier direct, mais aussi fille adoptive de son grand-père, et devient alors seconde dans l’ordre de succession au trône. Celle qui avait reçu le titre de courtoisie de Mademoiselle Valentinois lors de sa reconnaissance de filiation, est alors élevée au titre de duchesse de Valentinois, lors de son adoption par Albert 1e. Elle est alors âgée de 18 ans et tout l’espoir se place en elle pour qu’elle fournisse des héritiers au trône monégasque, car la menace de voir arriver les Wurtemberg reste présente, ceux-ci étant maintenant relégués à la troisième place dans l’ordre de succession.

Charlotte de Monaco épousa à 22 ans le comte Pierre de Polignac. Décidément bien décidé à ne pas céder son trône à des héritiers non Grimaldi, Albert 1e accorde la nationalité monégasque à Pierre de Polignac et change son nom à l’État civil pour qu’il devienne Pierre Grimaldi le 17 mars 1920. Le lendemain, le 18 mars, Charlotte épouse Pierre. La princesse Antoinette nait de cette union le 28 décembre 1920. Le prince Albert 1e a alors 72 ans et sait que la suite de la dynastie Grimaldi est assurée… Avec la naissance d’Antoinette, les Wurtemberg-Urach sont repoussés à la 4e position de l’ordre de succession. Le prince Albert 1e décède en juin 1922, rassuré. Le prince Louis II monte sur le trône et un an plus tard, le 31 mars 1923 nait le prince Rainier.

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Le 30 mai 1944, le jour avant que Rainier atteigne sa majorité, fixée à 21 ans à l’époque, la princesse Charlotte renonce à ses droits héréditaires en faveur de son fils, le prince Rainier. Cinq ans plus tard, le 9 mai 1949, le prince Rainier devient le prince Rainier III, une fois de plus un prince régnant sans descendant et sans épouse.

Il faudra attendre 7 ans avant que le prince souverain se marie et 8 ans avant que la descendance soit assurée par une première naissance, celle de la princesse Caroline. Avec la naissance d’Albert et de Stéphanie, qui eux-mêmes ont assuré une grande descendance, la menace des Wurtemberg n’est plus qu’un mauvais cauchemar. Pour être tout à fait honnête, les Wurtemberg étaient déjà bien loin, car dans l’éventualité où Rainier n’aurait pas eu de descendants, ce sont les descendants de sa sœur Antoinette – la famille de Massy – qui étaient ses plus proches parents. De plus, Guillaume d’Urach avait lui-même renoncé en 1924 à ses droits sur le trône monégasque.

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Pourquoi certains invalident le règne de Rainier III ?

Un certain Aynard Guigues de Moreton de Chabrillan s’est fait connaître comme étant l’héritier légitime du trône monégasque, à la suite de la renonciation des droits de Guillaume d’Urach. Pour légitimer Aynard Guigues de Moreton de Chabrillan, il faut donc d’abord légitimer les droits de Guillaume d’Urach. Certains invalident le changement d’ordre de succession qu’a ordonné Albert 1e, pourtant, celui-ci était totalement en droit de changer les règles de succession comme bon lui semblait, comme le prévoyait la loi monégasque. Ce changement d’ordre de succession dynastique (qui a permis de faire entrer sa fille adoptive, en outre déjà petite-fille naturelle, dans l’ordre de succession) a été validé par le parlement monégasque et par les autorités françaises, Monaco bénéficiant à l’époque du protectorat de la France. Il faut donc invalider ce changement dans la règle de succession pour faire de Guillaume d’Urach (Mindaugas 1e) l’héritier légitime.

Qui serait le prince de Monaco si Charlotte n’avait pas été adoptée ?

En 1924, Mindaugas déjà déchu de Lituanie et persona non grata à Monaco comprend que c’est peine perdue et accepte de renoncer à tout droit sur Monaco. Dans son acte de renonciation, il transmet son droit à de très lointains cousins, les Moreton de Chabrillan. Aynard Guigues de Moreton de Chabrillan est l’arrière-petit-fils de René de La Tour du Pin et de son épouse, la princesse Honorine Grimaldi, elle-même petite-fille d’Honoré III souverain de Monaco. On vous avait prévenu en début d’article qu’il fallait remonter jusqu’à lui pour comprendre l’histoire. Aujourd’hui, le descendant le plus direct d’Aynard Guigues de Moreton de Chabrillan est le comte Xavier de Caumont La Force.

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr