Quelles sont les règles de succession aux trônes européens ?

Quelles sont les règles d’ordre de succession en vigueur dans les monarchies actuelles ? Aujourd’hui, suite à l’évolution des mœurs et au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes, la majorité des familles royales ont adopté une règle de succession de primogéniture absolue. Mais ce n’est pas encore le cas partout ! Et cette règle de succession était loin d’être majoritaire il y a encore quelques décennies de cela. Toute personne qui s’intéresse un peu à la généalogie des têtes couronnées sait combien il est important de comprendre les règles en vigueur dans chaque pays. Dorénavant, vous allez comprendre ce que veut dire primogéniture absolue, agnatique, cognatique ou ce qu’est la loi salique.

Parmi les 12 monarchies qui existent encore en Europe, deux ne sont pas héréditaires : le Vatican et Andorre. Dans l’État de la Cité du Vatican, le souverain pontife est élu parmi ses pairs. La principauté d’Andorre est, quant à elle, dirigée par deux coprinces, l’un est le président de la République française, le deuxième est l’évêque d’Urgell. Aucune loi successorale ne s’applique dans ces deux états puisque les souverains sont élus.

À l’heure actuelle, trois règles d’ordre de succession au trône sont en vigueur : la primogéniture cognatique à préférence masculine, la primogéniture cognatique (aussi appelée primogéniture absolue), et la primogéniture agnatique. La loi semi-salique n’est plus utilisée par aucun État européen. Avant de commencer, il est important de comprendre ce que veut dire le terme primogéniture et de différencier agnatique et cognatique.

Que veut dire « primogéniture » ?

Pour commencer, un petit rappel du terme primogéniture. Il vient du latin primo– et  –genitura, qui veulent dire le « premier à avoir été engendré ». Il est apparenté au droit d’aînesse et est opposé au terme ultimogéniture, qui revient à privilégier le cadet. Aujourd’hui, la primogéniture est toujours d’application, tous les ordres de succession étant basés sur une chronologie des naissances, privilégiant l’aîné à ses cadets. Le terme est apparu à l’époque capétienne pour différencier la règle qui était en vigueur à l’époque des rois mérovingiens ou carolingiens qui consistait à diviser son territoire entre tous ses descendants mâles. Dans la règle de primogéniture, le pouvoir revient entièrement à l’aîné.

Quelle est la différence entre agnatique et cognatique ?

Le terme agnatique vient du latin agnatus, qui veut dire « à côté de ». Dérivé du droit romain, aujourd’hui lorsqu’on parle d’une lignée agnatique ou d’une succession agnatique, il s’agit de la lignée du descendant mâle. À l’opposé, on trouve le terme cognatique, qui fait référence au lien de sang, en latin. Cela veut dire que ce lien s’adresse à tous les descendants. Aujourd’hui, en généalogie et en règle de succession au trône, lorsque l’on parle d’un ordre cognatique, on sous-entend que l’ordre s’applique à tout le monde, aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Par extension, si on parle d’une lignée cognatique, cela veut dire qu’il s’agit d’un lien de mère en fille. En effet, puisqu’il existe un terme (agnatique) pour désigner les lignées masculines, si l’on utilise le mot cpgnatique (qui s’adresse à tout le monde), c’est que l’on parle des femmes.

1. La primogéniture agnatique ou masculine

Comme nous venons de le voir, « agnatique » est aujourd’hui synonyme de masculin. Longtemps cette règle était connue sous le nom de Loi salique, inventée par les rois capétiens. Seuls les hommes peuvent monter sur le trône, peu importe leur relation avec le roi défunt, tant qu’il s’agit de la personne de sexe masculin le plus proche du roi en termes de parenté et ensuite en termes de naissance.

Ainsi, on va d’abord chercher le successeur parmi les enfants, par ordre de naissance. Si l’aîné des enfants mâles est lui-même père, on regarde qui est son aîné, et ainsi de suite. Une fois que l’on a répertorié tous les enfants mâles du roi défunt, on passe aux frères du roi, en suivant la primogéniture, ainsi que leurs enfants respectifs, et ainsi de suite. S’il n’existe aucun mâle parmi les enfants, petits-enfants, frères et neveux ou petits-neveux du roi, il faut alors laisser son trône à une branche cousine, soit au frère du roi défunt à être né après lui (s’il est toujours en vie), sinon à son fils ou petit-fils, toujours en suivant l’ordre de primogéniture. Cette règle était en vigueur dans la plupart des monarchies européennes, il y a encore quelques dizaines d’années. Seul un homme pouvait devenir roi ! Mais en plus, cela veut aussi dire qu’une femme empêche tous ses descendants de pouvoir prétendre à un titre. Les descendants d’une princesse royale sont immédiatement exclus de l’ordre de succession. Par exemple, le neveu du roi défunt (le fils du frère puîné du roi) va être préféré au petit-fils du roi, s’il est le descendant de sa fille unique. Cette règle permet d’éviter de changer de maison dynaste. En effet, lorsqu’une reine monte sur le trône, ses enfants portent le nom d’une autre maison… celle de leur père.

Cet ordre est encore en vigueur au Liechtenstein, malgré l’impopularité de la règle, en dehors du pays. Il est formellement interdit à une femme de devenir princesse régnante du pays. Cette règle étant contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les Nations Unies ont déjà saisi l’État du Liechtenstein pour violation des règles d’équité entre les hommes et les femmes. En 2007, la principauté a répondu à la polémique de la loi salique en expliquant qu’il s’agissait d’une tradition plus vieille que le pays et que cette règle familiale n’affectait pas les droits des citoyens. La constitution du pays indique clairement qu’elle n’a aucun mot à dire quant aux règles de succession au trône. Ainsi, c’est étrange, mais le prince souverain actuel, Hans-Adam II ignore totalement les droits de sa fille. La princesse Tatjana n’existe nulle part dans les règles de succession de la famille. Les 7 enfants de Tatjana sont eux aussi interdits de succession, même ses 2 fils, Lukas et Maximilian qui portent le nom de leur père, von Lattorff. Ainsi, dans l’ordre de succession établit Lukas et Maximilian n’existent pas. Les suivants dans l’ordre, après le prince Alois et ses déscendants, sont le prince Philipp (frère de Hans-Adam II) et ses fils, Alexander, Wenzeslaus et Rudolf.

2. La primogéniture cognatique à préférence masculine

La primogéniture cognatique indique donc que la succession peut aussi bien avoir lieu avec une femme qu’un homme. La préférence masculine fait référence au fait qu’à rang égal, un homme sera préféré. Ainsi, à chaque génération ou lien de parenté du souverain défunt, on prend d’abord en compte le descendant masculin né le premier, puis son propre enfant masculin né le premier, et ainsi de suite. S’il n’y a plus de descendant, on prend en compte les autres frères par ordre de naissance, puis les sœurs, également en suivant l’ordre de primogéniture. Et on procède de la sorte avec tous les ascendants et descendants. Dans le cas où le souverain défunt n’a pas d’enfants en vie, on regardera qui sont ses frères en vie, et leurs descendants, en suivant le même ordre : le premier garçon né et ses descendants, s’il n’y a pas de descendant, on cherche le second fils, le troisième, etc. Les filles arrivent par après.

Cette règle est encore en vigueur en Espagne et à Monaco, il s’agit des deux seuls pays qui utilisent encore cette règle. Parmi les pays européens modernes, cette règle de succession peu équitable est très décriée. Non seulement cette règle est en vigueur en Espagne, mais en plus elle a servi à écarter une femme du trône, il y a encore quelques années. Lorsque le roi Juan Carlos a abdiqué en 2014, c’est son fils Felipe VI qui est monté sur le trône, malgré qu’il soit né 5 ans après sa sœur ainée Elena et 3 ans après sa sœur Cristina. Malgré les nombreuses pressions politiques, la règle de préférence masculine est toujours en vigueur. Suite à la désignation de Felipe VI comme roi, il est de moins en moins important de remettre cette réforme sur le tapis. En effet, les prochaines héritières en ligne pour monter sur le trône espagnol sont de toute façon des femmes. Le roi Felipe VI a deux filles, la princesse Leonor, première dans l’ordre de succession, suivie par sa sœur l’infante Sofía.

Dans la principauté de Monaco, cette règle va encore avoir son importance dans les générations à venir. En effet, Albert II de Monaco est le papa de plusieurs enfants. Parmi ses enfants légitimes, Gabriella et Jacques sont prétendants au trône. Les deux jumeaux pourraient se battre pour savoir qui est né le premier, pourtant la règle est simple : quel que soit l’ordre de naissance, Jacques est le premier dans l’ordre de succession au trône, peu importe qu’il soit le premier ou le deuxième des jumeaux d’Albert II et Charlene.

Cette règle d’ordre de succession était en vigueur au Royaume-Uni, jusqu’en 2013. La préférence masculine a notamment eu des conséquences sur l’ordre de succession de la princesse Anne (pourtant aînée du prince Edward et du prince Andrew), entraînant également ses héritiers à la fin de la liste.

3. La loi semi-salique

Cette loi un peu particulière mélange plusieurs lois de succession. Il existe aussi plusieurs façons d’appliquer cette loi semi-salique. Les graphiques ci-dessous représentent deux versions différentes d’interpréter cet ordre. D’autres versions peuvent exister. La loi semi-salique, peu importe sa version, consiste à privilégier les descendants masculins. Il en est surtout question lorsqu’aucun mâle direct n’apparaît dans la liste de succession. La notion de base consiste à dire que l’on recherche d’abord tous les mâles qui sont apparentés au roi défunt. S’il n’y en a pas, à défaut, on cherche parmi les femmes, en suivant toujours l’ordre de primogéniture. C’est au moment où on accorde de l’importance aux descendantes féminines qu’il peut y avoir des différences. Soit, dès qu’il n’y a pas de descendants directs du roi (fils ou petits-fils), on accepte les filles ou les petites-filles, soit on passe aux frères et leurs propres descendants, avant même de prendre en compte les filles du roi. Il s’agit de règle cognatique directe ou bien de règle collatérale.

C’est cette règle qui a provoqué la séparation entre le souverain des Pays-Bas et du Grand-Duché de Luxembourg. Guillaume I, II et III étaient souverains des deux pays en même temps. À la mort de Guillaume III, seule sa fille Whilelmina était encore vivante. À l’époque, les Pays-Bas acceptaient uniquement les hommes, sauf s’il n’y avait pas de descendants masculins directs. Dans ce cas, une fille est préférée aux autres descendants indirects. Alors que le Grand-Duché de Luxembourg préférait un homme, quel que soit son lien de parenté. Adolphe Ier est donc monté sur le trône luxembourgeois, cousin au troisième degré de Guillaume III. Cette loi va évoluer au Grand-Duché en 1907 lorsque le pays se voit obligé d’accepter un parent éloigné comme souverain. Pour éviter ce problème, le Grand-Duché accepte une Grande-duchesse, Marie-Adélaïde, assouplissant la règle salique et devenant semi-salique.

4. La primogéniture absolue

Il s’agit de la règle plus simple. C’est également celle qui est en vigueur aujourd’hui dans 7 monarchies des 10 monarchies héréditaires d’Europe. Elle correspond à la demande d’égalité entre les hommes et les femmes. Cela signifie que seule la règle de primogéniture compte, peu importe le sexe. Après la condition de primogéniture, comme à chaque fois, c’est la règle de proximité qui compte. Cela veut dire que les enfants sont plus proches, d’un point de vue de parenté que les frères et sœurs et les petits-enfants, plus proches que les neveux et nièces.

Les règles de rétroaction

Lorsqu’il y a un changement de règle successorale, elle peut être rétroactive ou non. Si elles sont rétroactives, cela engendre un changement de position dans l’ordre de succession parmi les membres existants d’une famille royale.

En Belgique

Ainsi, lorsque la Belgique a décidé de passer d’une primogéniture masculine à primogéniture absolue, elle a décidé d’appliquer la loi avec rétraction. Cette décision a été perçue comme une stratégie pour éloigner le prince Laurent du trône, dont les frasques personnelles font souvent l’objet de polémiques. Avant, le prince Laurent était deuxième dans l’ordre de succession, derrière le prince Philippe (actuel roi, qui n’avait pas encore d’enfants). En acceptant la succession d’une femme et en appliquant la rétroaction, la princesse Astrid a été habilitée et s’est directement positionnée à la deuxième place, et ses deux enfants (à l’époque) Amedeo et Maria Laura ont eux aussi pu apparaître dans l’ordre de succession. Le prince Laurent s’est donc retrouvé en cinquième position, reculant encore en sixième position la même année, suite à la naissance du troisième enfant d’Astrid, Joachim. À l’heure actuelle, il est en 13e position, après les 4 enfants de Philippe, sa soeur Astrid et ses 5 enfants, plus Anna-Astrid d’Autriche-Este, le fille d’Amedeo, née en 2016 et le deuxième fils d’Amedeo, Maximilian d’Autriche-Este, né en 2019. La Belgique connaîtra peut-être sa première femme comme monarque, la reine Elisabeth.

En Norvège

Les trois règles de successions co-habitent encore en Norvège. Les règles étant non rétroactives dans ce pays, chaque membre de la famille applique la règle de primogéniture qui était en vigueur à sa naissance. Ainsi, l’une des deux sœurs du roi Harald V encore en vie, la princesse Astrid (1932) et ainsi que ses descendants (et ceux de son autre sœur déjà décédée) sont inexistantes dans l’ordre de succession. Les deux sœurs sont nées avant que la loi salique ne soit abolie en 1971. Ensuite, la primogéniture absolue a été votée en 1990 et elle n’est pas rétroactive non plus. Elle s’applique donc à partir des petits enfants de Harald V. La primogéniture à préférence masculine étant respectée jusqu’à cette date, son fils Haakon (1973), né après sa sœur Märtha Louise (1971) reste premier. Leurs enfants respectifs étant tous nés dans les années 2000, ils suivent quant à eux la règle de primogéniture absolue. Le premier enfant d’Haakon, Ingrid Alexandra est donc deuxième (après son père) et devant son frère Sverre Magnus (qui est donc troisième). Vient ensuite la sœur de Haakon puis ses trois filles. La Norvège connaîtra peut-être un jour sa première femme comme monarque, la reine Ingrid Alexandra.

En Suède

La primogéniture à préférence masculine est devenue primogéniture absolue en 1980 avec rétroaction. La princesse Victoria (1977) devient donc prétendante au trône de Suède, devant son frère Carl Philip (1979). Elle fait partie des trois prétendantes au trône directes en Europe, avec la princesse Elisabeth de Belgique et la princesse Catharina-Amalia d’Orange, aux Pays-Bas. La princesse Victoria sera donc la quatrième reine à régner sur la Suède (après Margaret, Christina et Ulrika Eleonora) et la première depuis 1720.

Au Luxembourg

Le changement de la loi semi-salique à la primogéniture absolue a eu lieu avec rétraction qui ne s’applique qu’aux descendants du Grand-duc Henri. Ainsi, en 2011, lors du changement, la princesse Alexandra (fille du Grand-duc Henri) est passée devant son frère Sébastien. Elle était 4e et Sébastien 3e, puis l’ordre s’est inversé. Louis, qui pourtant les précède a quant à lui renoncer au trône ainsi qu’à tous ses descendants. Depuis la naissance des enfants du prince Félix, Alexandra est en 5e position et Louis en 6e position. Par contre, la rétroaction ne s’appliquant qu’aux descendants du Grand-duc, les frères de celui-ci prévalent toujours sur leur soeur qui n’apparait même pas dans l’ordre, puisqu’il s’agit d’une loi semi-salique. Ce qui veut dire que les femmes sont prises en compte, uniquement s’il n’y a plus d’autres choix. Guillaume, le frère cadet du Grand-duc Henri est donc 7e dans l’ordre de succession (l’autre frère, Jean ayant renoncé à ses droits pour lui et ses descendants). Parmi les enfants de Guillaume, seuls les garçons sont eux 8, 9 et 10e dans l’ordre de succession. La petite Charlotte, pourtant née en 2000, donc après l’adoption de la primogéniture absolue, est toujours sous le couvert de la loi semi-salique qui s’applique aux descendants qui ne sont pas du Grand-duc Henri. Cette règle permet également d’éviter que Margaretha, la sœur du Grand-duc Henri, et surtout ses descendants n’apparaissent dans l’ordre de succession. En effet, Margaretha s’est mariée avec le prince Nikolaus de Liechtenstein. Lui et son fils, Joseph-Emanuel apparaissent dans l’ordre de succession du Liechtenstein.

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr

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