La roturière à l’origine du consentement royal pour le mariage

Dans toutes les monarchies européennes, le souverain doit donner son accord pour qu’un membre de sa famille se marie, s’il souhaite ne pas perdre sa place dans l’ordre de succession et ses droits dynastiques. Saviez-vous qu’au Royaume-Uni le consentement royal date de 1772, mis en place suite au mariage de la roturière Anne Luttrell avec le duc de Cumberland, frères du roi George III ?

Anne Luttrell, connue comme Anne Horton, puis comme la duchesse de Cumberland, est à l’origine de Royal Marriages Act de 1772 qui permet au souverain de mettre son veto au mariage d’un membre de sa famille (Photo : WikiCommons)

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Anne Luttrell, veuve Horton

Anne Luttrell est née le 24 janvier 1743, fille de Simon Luttrell et Judith Maria Lawes. Ils appartenaient à la famille Luttrell, descendante de Georffrey de Luterel, un seigneur qui reçut la ville de Luttrell du roi Jean d’Angleterre, en 1210. Le grand-père d’Anne, Henry Luttrell fut un ancien commandant de l’Armée irlandaise jacobite, qui recevra le pardon, avant d’être assassiné en 1717.

Simon Luttrell, le père d’Anne, sera membre du Parlement dans la Chambre des communes, à partir de 1755. En 1768, il reçut le titre de baron Irnham, d’une pairie irlandaise. Il reçut le titre de vicomte Carhampton en 1781, un titre qui fut élevé au rang de comte, en 1785. Lui et son épouse, qui était la fille du gouverneur de Jamaïque, ont eu 8 enfants, dont Anne Luttrell. 

Anne Luttrell est une fille de bonne famille, issue de l’aristocratie irlandaise. Son père a intégré le Parlement lorsqu’elle avait 12 ans et devint noble, d’abord baron, lorsqu’elle en avait 25. Quelques années auparavant, Anne Luttrell avait épousé Christopher Horton (ou Houghton ou encore Houton), en août 1765. 

L’écrivain et esthète britannique du 18e siècle, Horace Walpole décrit Anne Luttrell comme une jeune femme coquette, belle, « astucieuse comme Cléopâtre et complètement maitresse de ses passions et projets ». Elle n’avait que 24 ans quand elle a épousé l’écuyer Christopher Horton, propriétaire de Catton Park. On sait peu de choses sur Christopher, sauf qu’il mourut rapidement, après quelques années, et qu’il laissa un héritage convenable à sa jeune veuve. Convenable mais « pas un quart suffisant pour satisfaire ses goûts extravagants ».

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La roturière qui a infiltré la famille royale britannique

Peu de temps après être devenue veuve, Anne trouva bien vite l’homme qui pourrait satisfaire ses désirs de grandeurs, Henry, le fils du roi Georges II. Elle rencontra le prince Henry, lors d’une retraite qu’il effectuait pour calmer ses ardeurs, en espérant aussi que les scandales le concernant finissent par disparaitre. Le prince Henry, né en 1745, avait été fait duc de Cumberland et Strathearn, comte de Dublin, en 1766. Le duc de Cumberland, fils du prince Frédéric, prince de Galles, avait derrière lui un certain passé de débauche.

On le dit marié en secret à 22 ans, en 1767, à Olive Wilmot, avec laquelle il aurait eu un enfant. Il aura ensuite une relation avec Ann Elliot, une actrice, dont il payera les funérailles, morte d’une maladie en 1769. La même année, le prince Henry sera reconnu coupable devant la justice d’adultère, après avoir été pris en flagrant délit par Lord Grosvenor, qui découvrit son épouse avec le prince. Lord Grosvenor reçut des dommages et intérêts, dont la somme avoisinerait aujourd’hui l’équivalent de 2 millions d’euros. 

Le prince Henry, duc de Cumberland et Strathearn, a épousé la veuve Anne Houghton sans le consentement de son frère, le roi George III (Image : domaine public)

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Le Royal Marriages Act de 1772 instauré pour empêcher l’existence d’une deuxième duchesse de Cumberland

En 1771, il épouse la veuve Anne Horton à la hâte, en secret de son frère aîné, le roi George III. Ce mariage fut à l’origine d’une querelle entre les frères. Le roi George III, impuissant contre ce mariage, n’eut autre choix que d’accepter le nouveau statut de sa belle-sœur. Par son mariage, Anne Horton devint duchesse de Cumberland et Strathearn. Bien que snobée par la Cour pour ses origines roturière, elle prit ses quartiers, en tant que nouveau membre de la famille royale. 

George III, qui tira une leçon de cette histoire, prit ses dispositions pour qu’un tel mariage morganatique ne se reproduise plus dans la famille. Le Royal Marriages Act est promulgué le 1e avril 1772. Cette nouvelle loi sur les mariages royaux instaure des règles précises, afin d’éviter des mariages embarrassants pour la Couronne, permettant au souverain d’apposer son veto à n’importe quelle union qui concerne un descendant de George II. 

Le roi George III peint en 1771, un an avant la promulgation de la loi permettant au souverain de mettre son veto sur un mariage (Image : domaine public)

Cette loi fut modifiée légèrement en 1967 pour y enlever la clause selon laquelle un membre de la famille royale qui se rendait complice d’un mariage non approuvé, était considéré comme un criminel. Enfin, la loi de 1772 fut finalement abolie et remplacée en 2013 par le Succession to the Crown Act. Cette nouvelle loi, modernisée, reprend néanmoins les mêmes conditions que l’ancienne loi, mis à part que le veto du souverain ne concerne dorénavant que les 6 premières personnes dans l’ordre de succession au trône. 

Mis de côté par toute une partie de la famille royale, le duc et la duchesse de Cumberland verront leur chance tourner lorsque le prince de Galles, futur George IV, prit les commandes du royaume, alors que la santé mentale de son père déclinait. Le prince de Galles se laissa plus facilement manipuler par son oncle et sa tante par alliance, Henry et Anne, qui finirent par se faire une place parmi les membres les plus importants de la cour. Le duc de Cumberland mourra à 44 ans, en 1790. Sa veuve lui survécut encore 20 ans. Anne mourut le 28 décembre 1808 à Trieste.

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Qu’en est-il du consentement royal aujourd’hui au Royaume-Uni

Le consentement royal est nécessaire, uniquement dans le but de garder sa place dans l’ordre de succession. Le veto du souverain ou un mariage secret sans consentement a pour conséquence de se voir évincer de l’ordre et perdre ses droits dynastes. Par conséquent, les conditions sont étroitement liées à l’évolution des conditions imposées par les différentes lois de succession au trône.

Pour obtenir le consentement royal, plusieurs conditions sont nécessaires, en fonction des époques. Si le mariage morganatique était un point de crispation à l’origine, aujourd’hui, le souverain n’appose plus son veto lors d’un mariage avec un roturier. Au Royaume-Uni, la condition principale réside dans la religion.

Selon l’Acte d’établissement de 1701, qui a permis de mettre la dynastie hanovrienne sur le trône britannique, en allant chercher un héritier protestant jusqu’en Allemagne, il était bien entendu impossible d’épouser un catholique. Cette clause prendra fin en 2013, lors de l’abrogation du Royal Marriages Act de 1772. S’il est toujours obligatoire d’être protestant pour garder sa place dans l’ordre de succession, le mariage mixte avec un catholique n’est toutefois plus interdit.

Le Royal Marriages Act fut promulgué en avril 1772. Au mois de septembre de la même année, le roi George III apprit avec effroi que son frère Henry, duc de Cumberland, ne fut pas le seul à avoir contracté un mariage embarrassant dans son dos. Un autre de ses frères, le prince William Henry, duc de Gloucester et d’Edimbourg, avait épousé en cachette Maria Walpole, déjà 6 ans auparavant.

Le premier à obtenir le consentement royal après la promulgation de la loi est le prince Frédéric, duc d’York et d’Albany, fils de George III, qui put épouser la princesse Frederica de Prusse, en 1791.

Quant à la nouvelle loi de 2013, elle rentra en vigueur en mars 2015. Pour rappel, la nouvelle loi impose dorénavant le consentement du souverain, uniquement pour les 6 premières personnes dans l’ordre de succession. C’est pourquoi, juste avant l’entrée en vigueur de la loi, le 11 février 2015, la reine Elizabeth II donna encore son consentement au mariage d’une certaine Juliet Nicolson avec Simon Rood. Juliet Nicolson, descendante de la reine Victoria par sa petite-fille, la princesse Patricia de Connaught, figurait pourtant plus loin que la 350e place dans l’ordre de succession au trône, au moment de son mariage. Une place qu’elle a pu garder grâce au consentement royal.

Le consentement royal prend des formes différentes selon les monarchies et les époques. Aujourd’hui, dans les monarchies constitutionnelles ou parlementaires, c’est en réalité le gouvernement ou le parlement qui donne son accord. Le souverain appose uniquement sa signature. Selon les pays, les enquêtes sont plus ou moins poussées lorsqu’il s’agit d’accepter une personne dans la famille royale. Au Royaume-Uni, l’ordre de succession étant théoriquement infini, le consentement était jusqu’à il y a peu, une simple formalité pour les membres situés au fin fond du classement. Dans la plupart des autres monarchies, où l’ordre de succession est limité par des règles précises, et où seule une dizaine de personnes y figurent, le consentement royal est accordé avec plus de précautions.

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr