La célébrité a ceci de galvaudé qu’on se contente parfois d’images toutes faites, de demi-vérités, de portraits aux traits lourds qui cachent une réalité nuancée et subtile. Ainsi en est-il du traitement fait à Élisabeth-Charlotte de Bavière, célèbre pour son originalité, présentée par certains comme une joyeuse commère à la cour de son beau-frère Louis XIV, une épistolière compulsive qui n’aurait eu de cesse de critiquer et de médire, sacrifiant au plaisir de bons mots ou au vocabulaire scatologique.
L’approche d’un personnage certes haut en couleurs mais aussi tributaire de la réputation qui lui a été faite n’est pas facile. Sa correspondance demeure, quelque 60 000 lettres (d’aucuns disent 90 000) qui font de l’auteur un témoin privilégié de la cour de France en son temps mais qui continuent de questionner la véritable personnalité de cette grande dame, attachante s’il en fut et au fond énigmatique.
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Une petite fille allemande
Au milieu du siècle, en 1652 au château de Heidelberg, naît la petite Élisabeth-Charlotte, fille de Charles-Louis Ier du Palatinat (1617-1680) et de la princesse Charlotte de Hesse-Cassel (1627-1686). Ses parents désunis se séparent lorsqu’elle a cinq ans. Elle est alors élevée par sa tante paternelle, Sophie de Hanovre, intelligente et cultivée, aimant la nature et les grands espaces. Une tendresse indéfectible s’enracine dans le cœur de « Liselotte », ainsi qu’on la surnomme, qui écrira à la femme qui lui a servi de mère jusqu’à la mort de celle-ci, en 1714.
De retour à la cour paternelle, la princesse allemande affiche un certain mépris pour la « famille recomposée » de son père, malgré l’affection qu’elle éprouve pour ses nombreux demi-frères et demi-sœurs. Son père avait épousé sa favorite, Louise de Degenfeld, après avoir divorcé de sa première épouse, incapable d’assouvir son appétit charnel. Il semble que toute sa vie elle se sentira mal à l’aise dans des situations « illégitimes ». Sa destinée ne la favorisera pas sur ce plan… Un excellent parti toutefois se présente : Élisabeth-Charlotte devient, à dix-neuf ans, l’épouse du veuf Philippe d’Orléans, unique frère cadet du roi de France, et quitte pour toujours sa famille et son pays. Pour ce mariage, il lui a fallu renoncer à sa religion luthérienne et se faire catholique.
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La plume à la main
La princesse est jolie, elle ne ressemble pas encore aux portraits de sa maturité, elle est alors assez svelte, enjouée, de tempérament enthousiaste, désireuse de plaire, à son futur époux, au roi qu’elle va admirer sans réserve, à la prestigieuse cour de France. On sait que Monsieur, s’il ne lui fit pas mauvais accueil, n’accomplit avec elle que son devoir et qu’elle dut d’emblée composer avec les amants qui partagent la vie du frère de Louis XIV.
Elle écrit sans arrêt, à sa famille, à ses amis et connaissances, à toutes les cours d’Europe. Elle écrit en français – comme l’élite aristocratique de son temps, elle a appris le français -, et en allemand. La plupart de ses lettres se sont perdues et les commentateurs d’aujourd’hui notent que c’est bien dommage car elle écrit comme on parle, donnant son avis sur les grandes et les petites choses de sa vie et non pour être lue, avec le souci de passer à la postérité. Pourquoi tant de courrier ? On la dit « toujours enfermée à écrire », ses lettres feraient, rapporte-t-on, volontiers vingt à trente feuillets chacune. De ce retrait de la vie commune, essentiel au temps d’écriture, on peut évidemment déduire que Madame, comme tant d’auteurs, vivait d’abord pour écrire…. Quoi qu’il en soit, sa correspondance nous ouvre les portes d’un univers authentique, décrit avec justesse, sensibilité, humour et parfois truculence.
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Une gifle princière
Madame avait l’un des rangs le plus haut auprès du Roi-Soleil. Il n’en demeure pas moins qu’elle ne disposait d’aucun pouvoir et que, si un temps l’amitié de Louis XIV lui a été acquise – le roi avait été conquis par sa franchise, ses remarques sans fard, sa bonhomie – cela n’a pas toujours été le cas. La Palatine a connu la solitude à la cour, presque la disgrâce lorsqu’elle tient tête à Louis en refusant de toutes ses forces le mariage de son fils, duc de Chartres et futur régent, avec la fille légitimée du roi et de la marquise de Montespan, Mademoiselle de Blois. Le mariage se fera, bien sûr, et Saint-Simon laisse une description stupéfiante de la gifle que la mère outragée – pour elle, cette union est une mésalliance – donne à son fils de dix-sept ans, en public !
Sa relation avec Madame de Maintenon, la « vieille guenipe », à qui elle voue une haine jamais démentie, n’est pas pour lui attirer les faveurs royales. Madame, en effet, a une haute idée de la noblesse, elle est droite, incapable de supporter mesquineries, hypocrisies, médisances, le lot si commun des courtisans à Versailles.
Libre et naturelle
Différents portraits et interprétations nous sont parvenus de ce personnage si isolé, si différent de son entourage. Certains voudraient voir en Madame une féministe avant l’heure, en raison de son plaisir à se vêtir en homme, à monter, à chasser à « courre » le cerf, à apprécier la bonne chère. Rien de cette interprétation n’apparaît dans les portraits de son temps ; il faut se rappeler que l’étiquette des cours européennes, moins contraignante qu’à Versailles, laissait sans doute davantage d’espace aux femmes. Courir, vivre à l’air libre, s’entourer de chiens et de chevaux a été permis à la princesse Palatine dans sa jeunesse et elle ne l’a pas oublié. Cette lettrée, curieuse de sciences, de médecine, collectionneuse de médailles et de beaux livres est aussi une femme maternelle, tendrement attachée à ses enfants et ses petits-enfants, soucieuse de leur avenir. Saint-Simon, peintre incontesté de la cour de Louis XIV, lui rend cet hommage : « Madame était une princesse de l’ancien temps, attachée à l’honneur, à la vertu, au rang, à la grandeur, inexorable sur les bienséances » et, à la mort de la princesse en 1722, « Elle était forte, courageuse, allemande au dernier point (…) noble et grande en toutes ses manières (…) ».
Quelle meilleure définition donner d’une véritable aristocrate ?