L’affaire touche à sa fin pour le fils du défunt duc de Boglie, décédé en 2012. Ce 12 février 2021, le Conseil d’État a statué sur la querelle qui l’oppose à son oncle depuis quelques années. Nicolas de Broglie, fils né hors mariage du défunt Duc, s’est vu refuser le titre par la justice de la République française à plusieurs reprises. Il tentait à présent de faire reconnaitre par le Conseil d’État l’inconstitutionnalité des lettres patentes de Louis XV, puisqu’elles ne permettait pas la transmission du titre de noblesse à un enfant illégitime, alors que le code civil français ne fait plus de différence entre les enfants naturels, depuis 2005. Le Conseil d’État a reconnu la légitimité des lettres patentes du roi Louis XV.
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Le combat d’un fils illégitime pour récupérer son titre de noblesse
En juin 1742, Louis XV conféra au maréchal François-Marie de Broglie « pour lui et pour l’aîné de ses mâles nés et à naître de lui en légitime mariage » et « ses descendants mâles en ligne directe nés et à naître en légitime mariage, selon l’ordre de primogéniture », le titre de duc de Broglie. Ces lettres patentes furent enregistrées par le Parlement, le 20 août 1742.
François-Marie était le petit-fils d’un noble du Piémont, qui s’était installé en France, et avait acheté la principauté de Mantoue (seigneuries de Senonches et Brezolles) à Charles II Gonzague de Mantoue, au 17e siècle.
Depuis François-Marie de Broglie, 1e duc de Broglie, sa famille n’a cessé de se distinguer, notamment avec deux présidents du Conseil (ancêtre du Premier ministre), l’un sous Louis-Philippe 1e, l’autre sous le président Mac Mahon. Outre des Académiciens et autres personnages distingués, le 7e duc de Broglie recevra le prix Nobel de physique, en 1929.
Voilà un bel héritage d’une noble famille, qui s’achève bien tristement en 2012, à la mort du 8e duc, Victor-François. Le 8e duc avait lui-même succédé à son cousin, le fameux physicien détenteur du prix Nobel, à sa mort en 1987. Victor-Français avait été maire de son fief, Broglie, de 1995 à 2001, et conseiller général de l’Eure, de 1982 à 2001.
À son décès en 2012, le duc de Broglie était célibataire, mais père d’un enfant naturel, Nicolas T., né en 1987, qu’il avait été contraint de reconnaitre et de donner son patronyme, par ordre du tribunal administratif, comme on peut le lire dans Singulière noblesse d’Éric Mension-Rigau.
Après avoir été officiellement autorisé à s’appeler Nicolas de Broglie, le jeune homme revendiquait également le droit de devenir le 9e duc de Broglie, depuis la mort de son père. C’est le frère cadet de Victor-François, Philippe-Maurice, qui lui avait succédé. Comme le rappellent les avocats Landot et associés, le droit français ne permettant plus de faire de distinction entre enfants légitimes ou illégitimes, Nicolas de Broglie, seul descendant naturel du défunt duc, avait bien hérité du château de Broglie dans l’Eure. Pour Nicolas, il pensait qu’il n’y aurait plus qu’un pas à franchir pour également hériter du titre…
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Comment la République peut statuer sur des titres de noblesse ?
Comme le rappelle Guillaume Odinet, rapporteur public lors de sa lecture de son rapport, le 12 février 2021, la fameuse Nuit du 4 août 1789 a vu s’éteindre avec elle le régime féodal. Pourtant, toute personne ayant un minimum connaissance de l’histoire de France, sait que les régimes vont encore se succéder, tantôt la restauration d’un royaume, tantôt un empire et des républiques.
À l’issue de ses différents changements de régimes, il en résulte que la noblesse française, avec la notion de féodalité qui a pu l’accompagner avant la révolution, a bel et bien disparu. Néanmoins, sous le Second Empire, un décret de 1859 qui confère la tâche au Garde des Sceaux de contrôler les titres de noblesse, n’a quant à lui jamais été aboli, une fois la Troisième République proclamée. Ce rôle a même été confirmé lors de la promulgation des lois constitutionnelles 1875, sous la République.
Si la République ne permet plus de conférer des titres, elle a néanmoins le devoir de collationner, confirmer et reconnaitre les titres de ceux qui en font la demande. C’est aujourd’hui encore, la direction des affaires civiles et du sceau qui « tient encore la plume des registres du sceau de France », indique le rapporteur du Conseil d’État. Enfin, il rappelle qu’une fois les titres confirmés, ceux-ci sont considérés comme une « décoration du nom ». Ils peuvent apparaitre sur les papiers d’identité, au même titre qu’un surnom, décorations ou pseudonymes, sans apporter ni droits ni avantages. « Ils portent une histoire mais sont juridiquement transparents ».
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Le Conseil d’État confirme les lettres patentes de Louis XV
Sachant ce qui précède, Nicolas de Broglie a demandé au Garde des Sceaux de reconnaitre son titre, en tant que descendant naturel du 8e duc de Broglie. Le Garde des Sceaux a émis deux arrêtés, le 25 juin 2018, pour infirmer sa demande, au motif que les lettres patentes de Louis XV indiquaient que le titre était transmissible aux descendants nés en légitime mariage.
Le fils du Duc s’est alors tourné vers le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel pour contester les arrêtés. Les contestations ayant été rejetées, il s’est tourné en dernier recours vers le Conseil d’État. Si le requérant s’est tourné vers le Conseil d’État, c’est pour faire reconnaitre l’inconstitutionnalité des lettres patentes de Louis XV, au nom du code civil (qui depuis 2005 ne distingue plus enfants adultérins et légitimes).
La réponse du Conseil d’État est intéressante, puisqu’elle indique la légitimité des lois de Louis XV sur ce point, qui ne peuvent être soumises au code civil moderne. Dans cette décision, on y lit que les modalités d’octroi des « titres nobiliaires antérieurement à l’instauration de la République constituent des actes de la puissance souveraine dans l’exercice de son pouvoir administratif, y compris en ce qu’ils fixent, le cas échéant, les règles de transmission de ces titres. » La décision va même plus loin, en confirmant que « les lettres patentes du roi Louis XV de juin 1742 ne sont pas au nombre des dispositions législatives susceptibles d’être renvoyées au Conseil constitutionnel en application de l’article 61-1 de la Constitution. »