La guerre de Succession d’Espagne redessine l’Europe

La guerre de Succession d’Espagne a été provoquée par l’un de ces évènements inattendus, imprévisibles, qui viennent rappeler que les destinées royales, comme toutes les destinées humaines, sont infléchies par le hasard ou le destin, contre lequel il n’y a d’autre remède que de s’adapter. La stabilité et la permanence qui ont maintenu sur les trônes tant de dynasties, tout à coup s’interrompent, pour la simple raison que la transmission, garante de la survie de la monarchie régnante, n’est plus possible, faute d’héritier. C’est ce qui se produit lorsque Charles II d’Espagne meurt en 1700, mort qui suscite une guerre meurtrière à l’échelle européenne, modifiant les contours du monde d’avant, jetant les bases de celui dans lequel nous vivons actuellement.

Représentation de la guerre de succession en Espagne (Image : Domaine public)

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Une Europe consanguine

Charles II de Habsbourg, né à Madrid le 6 novembre 1661 est apparenté aux monarques des deux grandes puissances de l’époque, la France et l’empire des Habsbourg. Ses ancêtres impériaux, comme c’était l’usage dans le but de conserver le patrimoine le plus riche possible, se sont unis entre membres proches de la même famille. L’arrière-grand-père de Charles II, l’empereur Charles Quint, avait épousé sa cousine germaine. Philippe III, leur fils, et Marguerite d’Autriche, son épouse, sont cousins au second degré. Issu de leur union, le père de Charles II, Philippe IV, épouse en secondes noces sa nièce, Marie-Anne d’Autriche. Ce sont eux qui donneront naissance à Charles. Ce n’est pas le premier mariage oncle/nièce dans l’ascendance du jeune prince, on en compte deux autres auparavant, ce qui porte son taux de consanguinité à un niveau particulièrement élevé.

Sur le trône de France règne Louis XIV, fils de l’espagnole Anne d’Autriche, elle-même sœur de Philippe IV et tante de Charles II. Louis XIV qui deviendra l’époux de Marie-Thérèse d’Autriche, sa cousine, fille du premier mariage de Philippe IV et demi-sœur de Charles II.

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La succession d’un monarque « ensorcelé »

Roi d’Espagne, des Indes, de Naples, de Sardaigne et de Sicile, duc de Bourgogne et de Milan et souverain des Pays-Bas, entre 1665, âge auquel il devient souverain après la mort de son père Philippe IV, et 1700, Charles, prince de la branche aînée des Habsbourg, est le possesseur d’immenses territoires, sur le continent et au-delà des mers. La question de sa succession va, semble-t-il, se poser d’emblée car personne au monde ne peut ignorer la gravité de son état de santé, la déliquescence du jeune monarque et ce, dès sa naissance.

Charles II l’Ensorcelé est connu pour son menton prognathe. Sa mort sans descendance entrainera la guerre de succession au trône d’Espagne (Image : Domaine public)

Tout a été dit et écrit sur les difformités de ce roi si laid, si peu séduisant, si peu aimable et aimé, auquel on donnera le surnom « d’Ensorcelé » car le diable lui-même paraît responsable de ses crises d’épilepsie, de ses difficultés de compréhension – il ne sait pas lire à dix ans-, de son corps faible et maladif, dépourvu de pilosité. Un corps qui se révèlera impuissant et stérile, en dépit de deux épouses successives, Marie-Louise d’Orléans puis Marie-Anne de Neubourg, de la maison de Wittelsbach. Le portrait du roi à peine adolescent par Juan Carreño de Miranda, avec ses longs cheveux défaits, son menton prognathe et sa lèvre inférieure tombante, laisse sans illusions sur son avenir. Sous tutelle tout au long de son existence, il rédige un testament qui va bouleverser la conjoncture en Europe.

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Un testament qui met le feu aux poudres

Un mois avant sa mort, Charles II, dans un ultime testament, désigne le petit-fils du roi de France comme unique héritier : Philippe d’Anjou devient Philippe V, roi d’Espagne. « Il n’y a plus de Pyrénées ! » s’exclamera l’ambassadeur d’Espagne à la cour de France. Pourquoi ce choix ? Il s’agit d’éviter le partage de l’empire espagnol entre les deux principales puissances, française et autrichienne. Cependant, le testament dispose que Philippe devenu monarque espagnol ne sera pas prétendant au trône de France.

Cousin et beau-frère du roi défunt, l’Empereur Léopold Ier, qui règne sur le Saint-Empire romain germanique, se montre fort mécontent, il escomptait la succession d’Espagne pour son propre compte ; l’Angleterre et les Pays-Bas s’alarment quant à elles de la puissance grandissante de la France. Louis XIV a la maladresse de conserver à son petit-fils la succession au trône de France et d’envahir les Pays-Bas espagnols. La guerre est déclarée le 13 mai 1702.

Le petit-fils de Louis XIV, Philippe d’Anjou devient Philippe V d’Espagne (Image : Domaine public)

Une guerre totale

Dans une Grande Alliance qui préfigure les futurs combats du XXe siècle, l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’Autriche et la Prusse font face à la France, l’Espagne, la Bavière. Il s’agit – déjà – d’une guerre à l’échelle européenne, qui jusqu’en 1713, va affaiblir considérablement la France tandis que les Anglais, avec le duc de Malborough, font valoir leur supériorité stratégique. À plusieurs reprises, les tractations pour la paix échouent, la guerre continue et alternent pendant dix ans combats, revirements, victoires ponctuelles mais aussi considérables défaites. Enfin victorieux à Denain en 1712, Louis XIV va pouvoir négocier la paix.

Le traité d’Utrecht

Philippe V continuera à régner sur l’Espagne – c’est encore le cas aujourd’hui pour ses descendants – et son pays garde pour l’instant ses possessions d’Amérique. Deux siècles de liens familiaux avec l’Autriche se terminent. L’Espagne devient une puissance secondaire. La France doit accepter la séparation des couronnes de chaque côté des Pyrénées. L’empire français d’Amérique est démantelé au profit de la puissance britannique, qui prend son essor, déployant bientôt un empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais ». L’Autriche demeure une grande puissance, mais la Prusse acquiert un statut royal. En fait, par le traité signé aux Pays-Bas, dans la ville d’Utrecht, c’est un nouvel équilibre géopolitique qui s’instaure en 1713, pour quelque temps encore…

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.