Le moment tant attendu du voyage du roi Philippe et de la reine Mathilde en République démocratique du Congo a eu lieu dès le premier jour de visite. Le roi Philippe s’est adressé à l’Assemblée parlementaire congolaise en prononçant un discours historique. La teneur du discours était restée secrète. Nombreux sont ceux qui attendaient des excuses et une condamnation ferme des exactions de la Belgique par le souverain, concernant le passé colonial de la Belgique. Le roi des Belges a donné satisfaction aux Congolais en condamnant sans équivoques les exactions du passé.
Un discours historique attendu au palais du Peuple à Kinshasa
Le roi Philippe et la reine Mathilde sont arrivés à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, ce mardi 7 juin. C’est ce mercredi qu’a véritablement commencé la visite des souverains belges au Congo, la première visite royale en 12 ans, initialement prévue en 2020 pour les célébrations du 60e anniversaire de l’indépendance du Congo mais reportée à trois reprises à cause de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine. En 2010, le roi Albert II avait été invité à visiter le Congo durant l’ère de Joseph Kabila. Le roi des Belges n’avait cependant pas pris la parole et avait eu pour consigne de ne pas faire de déclaration en public.
Ce mercredi, le roi Philippe avait un agenda chargé pour sa première journée au Congo. Après la remise de décoration à un vétéran centenaire au pied du Mémorial des anciens combattants, le roi Philippe a visité le Musée national de la RDC où il a remis symboliquement une première œuvre acquise par la Belgique. Ensuite, le roi Philippe a été convié à une audience par Felix Tshisekedi, au palais présidentiel.
Après l’entretien avec le président Tshisekedi, le roi Philippe a rejoint le palais du Peuple. La construction de ce palais, siège du parlement congolais, a débuté en 1975, grâce à l’aide financière de la Chine. Le parlement de la RDC est bicaméral, composé de 109 sénateurs et de 500 députés de l’Assemblée. Cette visite au parlement était sans conteste l’un des moments clés du voyage.
Le roi Philippe s’adresse aux sénateurs et députés de la République démocratique du Congo
« L’élément important, c’est le Roi qui va au Congo et qui s’exprime, ce n’est pas très fréquent », expliquait le Premier ministre Alexander De Croo au Soir, pendant le vol qui l’emmenait au Congo. Il s’agit de la première visite d’un roi des Belges au Congo depuis 12 ans.
« Si on veut pouvoir travailler comme des vrais partenaires qui peuvent se regarder droit dans les yeux, il faut affronter le passé. C’est impossible de ne pas regarder le passé dans les yeux », affirme Alexander De Croo. Le roi Philippe avait déjà fait un pas en cette direction, en adressant une lettre publique et historique à Tshisekedi en 2021. Dans cette lettre, il exprimait ses « plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés ».
Le roi avait notamment écrit qu’à l’époque « de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations ». Après une telle prise de position historique et un regard critique sur le passé de la Belgique, le discours du roi Philippe devant l’assemblée parlementaire congolaise était très attendu. « Il ne faut pas sous-estimer le message que le Roi apporte », affirmait le Premier ministre la veille du discours.
Le discours historique du roi Philippe au Congo à propos du passé colonial de la Belgique
Après la longue adresse du président Tchisekedi et un moment de recueillement, le roi Philippe a pris la parole. « Nous sommes enfin là parmi vous avec une joie immense. Ce qui prouve qu’il ne faut jamais désespérer », a déclaré le roi Philippe. « Face aux situations difficiles votre dignité et votre courage forcent le respect. Nous vous saluons aussi, les enfants et les jeunes qui représentez la majorité de la population. Vous êtes l’avenir du pays. »
« La culture congolaise est riche de ses traditions. En elle s’exprime l’âme congolaise empreinte de cette extraordinaire vitalité qui lui est propre. (…) Il y a 62 ans le Congo et la Belgique ont tourné une page essentielle de leur histoire commune », a continué le roi des Belges qui en vient au sujet le plus délicat. Le roi a rappelé que le Congo souhaite à présent regarder vers l’avenir en écrivant un nouveau chapitre avec la jeunesse « sans oublier le passé mais en l’assumant pleinement afin de transmettre à la nouvelle génération une histoire pacifiée ».
« Bien que de nombreux Belges se soient investis profondément, le régime colonial comme tel était basé sur l’exploitation et la domination. Ce régime était celui d’une relation inégale et injustifiable marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme. Il a donné lieu à des exactions et des humiliations », a déclaré le roi Philippe.
« Ici même, face au peuple congolais et à ceux qui aujourd’hui encore en souffrent, je désire réaffirmer mon plus profond regret pour ces blessures du passé. Sincères regrets que j’avais exprimés dans la lettre que je vous avais adressée il y a deux ans au président ».
« Monsieur le président, vous et moi sommes trop jeunes pour avoir connu le Congo avant son indépendance ». Le roi a parlé d’un héritage qui a ancré le pays dans ses frontières actuelles. « L’intégrité territoriale du Congo est une préoccupation majeure que nous partageons. ». Le roi Philippe a également parlé des instabilités qui frappent encore le pays et qui sont inquiétantes. Le roi a affirmé que la Belgique comme les instances internationales apporteront le soutien nécessaire pour que les troubles cessent.
« Nos deux peuples ont su tisser grâce à une affinité toute particulière, des liens interpersonnels riches et variés qui nous aident à construire l’avenir. » Le roi a parlé des Congolais qu’il rencontrait fréquemment en Belgique et qui contribuent à la richesse de son pays. Le roi a aussi mentionné les soldats congolais qui ont combattu lors des différentes guerres mondiales. Ceux-ci ne doivent pas être oubliés.
Le roi Philippe a rappelé que la coopération entre les deux pays a connu des hauts et des bas. Malgré cette rupture dans les relations diplomatiques pendant plusieurs années, le roi a déclaré : « Le Congo reste ainsi notre partenaire le plus important en Afrique. »
« La Belgique continuera de soutenir toute initiative qui contribue au bien-être de votre pays. Notre engagement vis-à-vis de la RDC reste le même : celui d’un soutien à la stabilisation du pays ainsi que le respect du droit humain. » Le roi Philippe a mentionné les ressources du sous-sol d’un complexe fluvial du Congo et la production de CO2 des forêts congolaises. « Ce sont votre énergie, votre dynamisme et votre travail qui seront une valeur ajoutée au bénéfice du Congo ». Le roi s’est dit confiant : « Le Congo a tellement à offrir au continent africain et au monde entier. Vive le Congo et vive l’amitié belgo-congolaise ». Le discours du roi Philippe en français a été entrecoupé par de brefs passages prononcés par le souverain en swahili, en lingala, en kinyarwanda et kikongo.
« Tout ce qu’on espérait du roi Philippe, on l’a reçu », a déclaré le présentateur de la chaîne congolaise RTNC, à la fin du discours. « Nous sommes très loin du discours paternaliste du roi Baudouin », a souligné le commentateur de la chaîne publique. « Il a reconnu qu’il y avait des méfaits dans le passé ». Un deuxième discours du roi Philippe est prévu lors de l’étape à Lubumbashi. Le roi Philippe rejoindra plus tard la deuxième ville du pays et doit s’adresser vendredi à des étudiants de l’université de Lubumbashi. La ville est le chef-lieu de la région minière du Haut-Katanga, au sud du pays.