Le mystère de la mort de l’ogre d’Angleterre

Il a 55 ans, le 28 janvier 1547, lorsqu’il s’éteint au palais de White Hall, dans le domaine de Westminster. Après 38 années de règne qui ont profondément changé son époque, détaché à jamais l’Angleterre de l’emprise papale, suscité la haine et l’effroi mais sculpté la physionomie actuelle de l’Angleterre. Mais de quoi est mort Henri VIII, le roi aux six épouses, aux maîtresses innombrables ? Dans sa lutte acharnée pour mettre au monde un héritier, qu’est-ce qui l’a rendu impotent et malade ? A-t-il succombé à une santé fragile, à une maladie inconnue, aurait-on hâté sa fin ? 

Statue représentant Henri VIII à l’université de Cambridge (Photo : Wikimedia Commons)

Lire aussi : Le roi de Suède qui a succombé à une indigestion après une choucroute et 14 desserts

Des débuts prometteurs

Le second fils d’Henri VII, cet Henri Tudor qui a mis fin à la guerre des Deux-Roses, n’est pas destiné au trône. C’est la mort prématurée de son frère aîné qui fait roi ce jeune homme que les commentateurs du temps disent particulièrement beau, de grande taille. Il excelle dans les exercices du corps comme dans ceux de l’esprit, compose des poèmes, de la musique, parle plusieurs langues, est versé en théologie, bref, Henri VIII est, comme son contemporain le roi de France François 1er, un pur produit de la Renaissance. Les femmes qui l’ont élevé – sa mère et ses dames d’honneur – le chérissent, tout lui sourit, son peuple acclame un nouveau règne !

Henri VII et Elisabeth d’York, les parents d’Henri VIII (Image : Wikimedia Commons)

Lire aussi : Anne Boleyn : la chute brutale d’une reine

La vie à dévorer 

Gai, heureux de vivre, svelte, le nouveau monarque se livre corps et âme aux plaisirs de la cour, les jeux, les paris, la bonne chère, la chasse et surtout la joute. Ce combat de parade où deux cavaliers armés de lances tentent de se désarçonner l’un l’autre est pour le jeune roi une véritable passion.

Henri VIII svelte, représenté peu de temps après son couronnement en 1509, à presque 18 ans (Image : domaine public)

Mais il y a aussi l’amour, celui des femmes qu’il ne se lasse pas de conquérir, les femmes dont il saura se débarrasser le moment venu avec la même fougue qu’il avait déployée à les séduire. Des amours qui le laissent toutefois insatisfait puisque son obsession d’asseoir la jeune dynastie Tudor par le moyen d’un héritier mâle le poursuivra jusqu’en 1537, lorsque Jeanne Seymour, la troisième reine, lui donne enfin un fils, le futur Edouard VI. Il reste alors au monarque, homme mûr, dix années à vivre. 

Jeanne Seymour, la troisième des six épouses d’Henri VIII (Image : domaine public)

Lire aussi : Les dernières heures de Léopold Ie détaillées dans la presse

Les mystères d’un roi

Les historiens s’attachent à relever dans le comportement du roi deux « Henry » : celui, entreprenant, jouissif, du jeune homme que rien n’arrête, celui du souverain usé, épaissi, dont Holbein peint cependant un portrait écrasant de magnificence et de majesté en 1540.  Entre les deux, la maladie, la souffrance ont fait leur œuvre, le corps est devenu quasi monstrueux, l’esprit a commis l’irréparable, meurtres de deux épouses et reines, Anne Boleyn et Catherine Howard, condamnations à mort de fidèles conseillers, dont Thomas Cromwell, de milliers de sujets, catholiques comme l’illustre savant Thomas More mais aussi bien protestants. 

Henri VIII prend de l’embonpoint autour des 40 ans, environ vers 1531 (Image : domaine public)

En 1536, désarçonné au cours d’un tournoi de joute, le roi serait resté inconscient sous son cheval pendant environ deux heures. Une ancienne blessure à la jambe aurait été ravivée, causant ulcères et tourments que les médecins seront impuissants à soulager jusqu’à sa mort. Douze ans auparavant, une blessure à l’œil, reçue pendant l’une de ces joutes tant appréciées, avait généré des maux de tête récurrents. La souffrance physique permanente causée par ces malheurs réunis est devenue chronique et serait à l’origine de sautes d’humeur et du développement d’une cruauté morale, paranoïaque, sur laquelle personne n’aura de prise, ni épouse, ni conseiller.

Quoi qu’il en soit, le souverain, privé de sa démarche alerte de cavalier, de ses performances équestres, empêché de libérer son trop plein d’énergie par des activités qui lui étaient non seulement bénéfiques mais essentielles, se laisse gagner par l’obésité, continuant, malgré le recul de son activité physique et peut-être sexuelle, à manger et à boire comme au temps de sa jeunesse.  

Portrait d’Henri VIII par Hans Holbein (Image : Domaine public)

Lire aussi : Une pièce de la couronne d’Henri VIII découverte par un chasseur de trésors

Trahi par le corps

Ce corps à présent gigantesque, quelque 140 kg, nécessite pour le transporter l’usage d’une chaise et celui d’un cheval sur lequel on le hisse. Les mensurations de son armure témoignent de ce spectaculaire embonpoint puisqu’elles passent de 32 à 52 pouces. La goutte le mine, les ulcères le tiraillent. Lui qui a échappé à la variole, qui a vu mourir son frère à peine adulte, probablement de la « suette » – virus mortel et incontrôlé, si redouté qu’en 1528 on dit qu’Henri dort chaque soir dans un lit différent pour lui échapper (!) -, endure à présent les conséquences de son immobilité forcée.

Henri VIII vers ses 50 ans (Image : domaine public)

Cependant, il serait injuste de limiter le règne d’Henri à « cette tache de graisse et de sang dans le livre de l’histoire d’Angleterre » selon les mots cruels de Charles Dickens. Diabète de type 2 non soigné, scorbut ou tuberculose, c’est finalement cette hideuse métamorphose, cet ensevelissement vivant du corps par le corps, qui aura sans doute eu raison de lui, davantage qu’une syphilis supposée ou qu’un empoisonnement par ses ennemis : Henri est un tyran redoutable et les tyrans sont craints ! 

Sources : Agence Science-Presse, History, L’Internaute, Science Post

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.