Le fabuleux destin du prince Youssoupov

Mis à part les descendants de l’aristocratie russe réfugiés en France pour fuir la révolution soviétique de 1917, les amateurs de dandysme et les férus de beaux-arts, connaît-on réellement bien Félix Félixovitch Youssoupov ? Né à la fin du XIXe siècle sous l’Empire des Romanov et mort en France en 1967, enterré au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, ce prince a eu une vie extraordinaire, à la fois rocambolesque et fascinante mais aussi éminemment politique, puisque, en contribuant à la chute du terrible Raspoutine, il a changé le cours de l’Histoire.

Le prince Felix, le descendant des illustres Youssopov, complice de l’assassinat de Raspoutine (Photo : Domaine public)

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Un prince béni des dieux

Il semblerait que les fées les plus généreuses se soient penchées sur le berceau du jeune Félix. Sa famille est illustre, remontant au XVIe siècle. Il est d’origine noble et tatare par sa mère, par son père il descend du prince Potemkine. Il pourrait être aussi, par filiation naturelle, l’arrière-petit-fils du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV. Cette ascendance aristocratique se double d’une immense richesse, la mère du jeune prince, la princesse Zénaïde, étant réputée plus riche que le tsar lui-même. À la cour de Saint-Pétersbourg, Zénaïde est d’une beauté et d’une élégance éblouissantes, dont Félix héritera aussi, devenant « le plus bel homme de tout l’Empire ».  Fils cadet, le prince est très proche de cette mère qui, contre les principes d’éducation du temps, chérit à l’extrême ses deux fils et ne sait rien leur refuser, tandis que leur père, le comte Felix Felixovitch Soumarokov-Elston, se montre plus distant et réservé.

Felix Felixovitch Soumarokov-Elston et la princesse Zénaïde Youssoupov (Photo : Domaine public)

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La jeunesse dorée du Prince Youssoupov

Épris de beauté à l’état pur, de raffinement, esthète grand admirateur d’Oscar Wilde qu’il croisera à Oxford lors d’un bal, en juillet 1912, où il fait l’admiration générale dans un fabuleux costume de « boyard », le prince scandalise par ses audaces. Son goût pour les vêtements féminins n’est un mystère pour personne, il festoie, se déguise avec les toilettes et les bijoux de sa mère, fréquente des Tsiganes, semble un temps attiré par l’occultisme…

Est-il, parmi d’autres, un emblème de la jeunesse dorée pour ses contemporains ? C’est à coup sûr l’incarnation du dandy, du mondain qui s’autorise tous les caprices. Il se marie en 1914, s’alliant à la famille impériale par son union avec Irina, nièce du tsar Nicolas II, bien qu’on lui prête depuis toujours des tendances et des liaisons homosexuelles, avérées semble-t-il, telle celle qui le lie au grand-duc Dimitri Pavlovitch Romanov…

Le prince Felix Youssoupov et son épouse Irina Alexandrovna (Photo : domaine public)

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L’assassinat de Raspoutine

Le jeune prince ne prétend pas jouer un quelconque rôle politique. Mais, à la cour de Nicolas II, est apparu un personnage qui défie l’imagination, qui tient sous sa coupe, sous prétexte de guérir l’héritier du trône, toute la famille impériale, qui règne, de fait, à la place du tsar : Raspoutine, le paysan mystique, le « moujik » guérisseur, que la cour comme le peuple russe exècrent et craignent.

La famille Youssoupov aurait été humiliée par Raspoutine. Est-ce cela qui explique la part prise par Félix à l’audacieux complot qui aboutit, dans la nuit du 29 au 30 décembre 1916, à la chute du « génie malin de la Russie » ? Le palais familial, où Raspoutine a été attiré sous le prétexte, dit-on, de rencontrer la princesse Irina, est le théâtre du meurtre. On sait les pâtisseries empoisonnées offertes à « l’ogre », on se souvient de son incroyable résistance à mourir, des coups qui peinent à l’achever et du corps que l’on retrouve dans la Neva. Dans ses mémoires, le prince Youssoupov confesse, sans regretter son geste, que ce terrible assassinat, accompli avec d’autres conspirateurs membres comme lui de la haute société – dont le grand-duc son amant -, le hantera toute sa vie.

Le meurtre de Raspoutine signe l’assignation à résidence des membres de la famille Youssoupov, qui, après l’abdication du tsar, prend la route de l’exil, via la Crimée, l’Italie puis l’Angleterre et enfin la France. La révolution soviétique les spolie de la grande majorité de leurs biens, ces biens que le prince aurait un temps envisagé, dans sa jeunesse, de distribuer aux pauvres.

Le prince Youssoupov et son épouse, Irina Alexandrovna de Russie, en exil (Photo : domaine public)

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La reconversion réussie

Si, en Angleterre, le poète Oscar Wilde connaît la prison pour « crime » d’homosexualité, il semble qu’à la cour du tsar, les relations sentimentales, amoureuses et sexuelles qu’entretient Félix Youssoupov ne lui aliènent en rien les faveurs de la cour. Chance, hasard ? Le prince, léger mais exigeant, fastueux mais toujours digne, est de ceux qui surmontent sans encombre les « on-dit », tout simplement parce qu’il se situe bien au-delà, avec une authenticité et un charme qui, des années durant, ne se démentiront pas.

Il est notable, ainsi que l’attestent nombre de témoignages, que son mariage avec Irina ne sera jamais remis en question. Le couple a traversé, uni et soudé, les années et les épreuves, l’exil ou encore la perte d’une grande partie de sa colossale fortune à l’avènement du communisme en Russie. Phénomène extraordinaire d’une « reconversion » réussie : la maison de couture qu’ils créent de concert à Paris en 1924, « Irfé », nommée ainsi pour Irina et Félix, aura un remarquable succès. Avec leur fille unique, elle aussi prénommée Irène, ou familièrement « Baby », le couple rayonne sur la vie mondaine et artistique de l’époque.   

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Qui étaient les Ioussopov ?

On dit la famille Youssoupov, ou Ioussoupov, descendante de Mahommet, issue des khans (dirigeants) de Horde Nogaï (actuel Kazakhstan). La famille, qui connut de nombreux dirigeants et fit de nombreux mariages intéressants, finit par obtenir les bonnes grâces à la cour impériale de Russie. L’un des membres de la famille, Dimitri, se convertit au christianisme orthodoxe au 17e siècle, le tsar Fédor élève la famille reçut le titre de prince Youssoupov.

Felix Youssoupov descend de cette illustre famille par sa mère. Son grand-père, également Félix, portait à sa naissance le nom de Felix Nikolaïevitch Elston. Les origines de Felix Nikolaïevitch Elston sont incertaines. On le dit le fils naturel de la comtesse Catherine von Tiesenhausen et de son amant, le futur roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse. Felix épousa en 1855 la comtesse Ielena Sergueïevna Soumarokova dont il eut l’autorisation par décret impérial de relever le nom de sa belle-famille, qui n’avait plus d’héritiers et de l’accoler à son propre nom. Ses descendants portent alors le titre de comte de Soumarokov-Elston.

Quant au père de Felix Youssoupov, né Félix Felixovitch Soumarokov-Elston, il épousa en 1882 la princesse Zénaïde Youssoupov. Comme son père, il obtint la permission de relever le titre princier de son épouse, étant la dernière des héritières des Youssoupov. Étant l’héritière de l’immense fortune des Youssoupov, la famille fut considérée comme la plus riche du pays.

Felix et Irina auront une fille unique, Irina Felixovna Ioussoupova, qui reprit tous les titres. Elle épousa le comte Nikolaï Dmitrievitch Cheremetiev. Ensemble, ils auront à nouveau une fille unique, Xenia, née en 1942. Xenia Cheremeteva-Iousoupova a épousé Ilias Sfiris en 1965. Xenia et Ilias ont eu une fille unique, Tatiana, qui eut trois filles avec son deuxième époux, Anthony. Tatiana Sfiris et Anthony Vamvakidis sont les parents d’Olga, Marilia et Yasmina.

Xenia Cheremetyeva-Ioussoupova, fille de la princesse Irina Felixovna Ioussoupova et du comte Nikolaï Dmitrievitch Cheremetiev rencontre Vladimir Poutine (Photo : WikiCommons)

Sources : Drouot, Agoravox, Eventail, Mairie de Septeuil

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.