Théodora : la saltimbanque devenue impératrice

Des murs de la basilique San Vitale à Ravenne où elle trône en majesté face à son époux l’empereur Justinien Ier, Théodora domine l’histoire par son destin exceptionnel. Comment, aux temps de l’empire byzantin, une femme de basse origine sociale a-t-elle pu s’élever au rang d’impératrice, co-gouverner un immense État, deux décennies durant, voire sauver l’Empire ?

Détails de la mosaïque de la basilique Saint-Vital de Ravennes, construite en 547. L’impératrice Théodora et son époux, l’empereur Justinien (Photos : WikiCommons)

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La saltimbanque

La petite fille qui naît vers l’an 500 à Constantinople – l’ancienne Byzance rebaptisée par l’empereur chrétien Constantin est devenue la capitale de l’empire romain d’Orient -, n’est pas vraiment gâtée par la vie. Issue du peuple, fille d’un gardien d’ours du cirque de la ville impériale, elle connaîtra une jeunesse quelque peu dissolue, si l’on en croit les sources des historiens de l’époque.

Le milieu du « cirque » qu’on voudra associer à son nom, « Théodora la circassienne », ne lui offre guère de choix en matière d’éducation : il faudra jouer la comédie, cultiver ses dons pour la danse, le mime et le chant, apprendre à plaire, jusqu’à vendre ses charmes pour survivre. Le père meurt très tôt, la mère se remarie et la jeune fille devient la maîtresse d’un riche homme politique, qui l’emmène en voyage aux confins de l’empire et dont elle aura hors mariage une fille, peut-être confiée à l’adoption.

L’actrice Sarah Bernhardt interprète le rôle de l’impératrice Théodora en 1884 (Photo : Domaine public)

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L’intellectuelle

Théodora est non seulement belle et séduisante, anticonformiste et déterminée, elle est aussi particulièrement intelligente et sensible au souffle de l’esprit. Il semble qu’elle ait étendu ses connaissances durant la période où elle voyageait, elle sait lire, écrire, elle est capable de discuter, d’argumenter et brille dans les hautes sphères. On présume qu’avant de rencontrer son futur mari, elle s’était déjà convertie à une doctrine qui faisait de nombreux adeptes dans le monde chrétien : le monophysisme, pour lequel la nature du Christ est uniquement divine et non à la fois humaine et divine.

La religion est inséparable de la vie en société et le christianisme, qui s’est imposé comme religion d’État dans tout l’empire, connaît de nombreuses divisions entre les croyants, tentés par différentes thèses ou interprétations du dogme, certes toujours chrétiennes mais néanmoins jugées hérétiques. Théodora fera beaucoup pour la tolérance religieuse tandis que Justinien, résolument chrétien, œuvre pour rétablir l’empire romain dans ses frontières géographiques.

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Vers le pouvoir suprême

Justinien, adopté et désigné comme héritier de l’empire par son oncle Justin, a des origines modestes et c’est peut-être le premier des points communs qu’il partage avec Théodora. On a évoqué le « coup de foudre » entre l’homme presque quadragénaire, austère, et la superbe courtisane, lettrée, brillante, ambitieuse.

Justinien fera de Théodora une patricienne, abrogera l’interdiction du mariage aux actrices et édictera cette loi : « C’est l’affection mutuelle qui compte. L’addition d’une dot n’est pas nécessaire ». Leur union sera célébrée au grand dam de la cour, peu de temps avant leur sacre conjoint en 527, dans le cadre éblouissant de la basilique Sainte-Sophie. L’empire s’offre à eux. 

Lady Randolph Churchill déguisée en impératrice Théodora (Photo : National Portrait Gallery)

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Retour au cirque 

À Constantinople, la révolte gronde, les mécontentements unissent même les factions adverses – les Bleus, aristocrates, les Verts, issus du peuple – et la colère générale, en 532, enfle à partir de l’hippodrome, ce cirque gigantesque où évoluait l’impératrice dans son impétueuse jeunesse. Justinien se résoudra-t-il à abdiquer devant les émeutes, la fureur populaire ?

C’est le conseil que lui donne son entourage lorsque Théodora s’insurge : « Il est impossible à l’homme, une fois venu au monde, d’éviter la mort. Mais être fuyard quand on est empereur, voilà qui est intolérable ». Justinien a toujours écouté sa femme, il lui a toujours fait confiance. Théodora a gain de cause une fois de plus. La rébellion, – restée célèbre sous le nom de sédition de Nika, d’un mot grec qui signifie « Soyons vainqueurs » – est écrasée, au prix terrible de quelque 30 000 victimes. Mais le règne de Justinien est sauvé, il sera l’un des plus longs de l’Histoire.

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Une œuvre considérable

Les historiens comme les témoins de son temps considèrent que l’impératrice Théodora a véritablement régné et dirigé l’empire, au même niveau que Justinien. Une œuvre considérable est accomplie, avec le code qui portera le seul nom de l’empereur mais auquel sa femme fut associée, comme à chacune des décisions du règne. Cette somme législative a vocation à situer l’empire dans la continuité du droit romain. L’empereur régnera seul dix-sept ans après la mort de sa femme en 548, inconsolable, dit-on, de cette disparition. Ils n’auront pas eu d’enfants, cependant une nièce de Théodora épousera un neveu de Justinien… Les femmes doivent beaucoup à Théodora, qui a fait évoluer leur statut et a porté une attention bienveillante aux plus exposées d’entre elles, telles que les prostituées.

Sources : Europe 1, Universalis, France Culture

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.