Les princes disparus de la Tour de Londres

Pour quiconque voyage en Angleterre, rendre visite à la Tour de Londres est incontournable. La magnifique forteresse médiévale –  the White Tower, la Tour Blanche, le donjon qui a donné son nom à l’ensemble architectural -, a été tout à la fois résidence royale, château, prison. Elle s’élève au bord de la Tamise, témoin et partie prenante de l’histoire du pays, de ses rois et de leur existence tourmentée. Les monuments souvent s’habillent des tragédies qui s’y sont déroulées, au point de s’y confondre. Ainsi de celle des deux enfants, les petits princes disparus depuis leur entrée à la Tour en l’an 1483.

Édouard V et son frère Richard de Shrewsbury, par John Everett Millais, 1878 (Image : Domaine public)

Lire aussi : Théodora : la saltimbanque devenue impératrice

Des temps troublés

Outre-Manche, l’époque est rien moins que calme : la guerre qui oppose depuis trente ans les maisons royales de York et de Lancastre fait des ravages. En 1483, le roi Édouard IV, de la maison des York, qui règne dans une paix toute relative, meurt. Son épouse, Élisabeth Woodville, veuve pour la seconde fois, lui a donné plusieurs filles et deux héritiers mâles, alors âgés de neuf et douze ans. L’aîné est le successeur désigné du trône, aussitôt proclamé roi sous le nom d’Édouard V. Le cadet, Richard de Shrewsbury, est duc d’York. Avant de mourir, leur père Édouard IV a confié le rôle de Lord Protecteur à l’oncle des enfants, son propre frère Richard, duc de Gloucester.

Le guet-apens

La date retenue pour le couronnement est le 4 mai de cette année 1483, à Londres dont le jeune roi prend la direction, quittant sa résidence de l’Ouest de l’Angleterre, tandis que son oncle rejoint la capitale depuis son château du Nord. Par les chemins risqués des routes anglaises, Northampton est le point de ralliement, l’endroit où la suite du futur roi doit retrouver celle de son oncle Richard. Funestes retrouvailles : plusieurs membres de la suite royale sont subitement arrêtés et l’enfant est contraint de suivre son oncle qui le guide vers la Tour, lieu de résidence des princes du sang avant leur couronnement, tandis que sa mère, ses sœurs et son cadet, effrayés par le comportement du duc de Gloucester, se hâtent de demander asile à l’abbaye de Westminster, lieu sacré et inviolable.

Lire aussi : Alice Keppel : l’arrière-grand-mère de Camilla maitresse d’Édouard VII

Du séjour royal à la prison

Que devait penser le nouveau roi de douze ans ? Pour l’instant, le couronnement reste à l’ordre du jour. Ce devait être le 4 mai, ce sera le 24 juin, lui dit-on. Savait-il que les proches de la famille de sa mère étaient arrêtés et exécutés sans autre forme de procès ? On se doute que sa famille lui manquait, est-ce bien pour cette raison, et non pour une autre moins avouable, que son oncle Richard obtient que le cadet des princes rejoigne Édouard dans son séjour royal, leur mère et leurs sœurs restant cloîtrées à Westminster ? On raconte que le peuple anglais regardait les deux frères jouer parfois sur le gazon de la forteresse.

Les frères attendant leur sort incertain (Image : Domaine public)

Lire aussi : Louis XIV et sa folie des petits pois

La déchéance

Les soutiens de Richard ont découvert une arme extraordinaire pour conduire leur chef au pouvoir, une arme juridique imparable qui va frapper de nullité le mariage d’Édouard IV et d’Élisabeth Woodville : le roi défunt avait été initialement fiancé à une princesse anglaise, ce qui est suffisant, selon la loi ecclésiastique, pour rendre l’union postérieure illégitime et les enfants bâtards. Un acte du Parlement – le Titulus Regius – le confirme. Ainsi, ce ne sont plus deux princes qui se trouvent dans la Tour, ce n’est plus un séjour royal, ce sont deux enfants déchus, livrés à la politique la plus cynique, à présent prisonniers. Mais ne fallait-il pas, sans tarder davantage, un roi pour l’Angleterre ? Le couronnement différé aura bien lieu, le 6 juillet 1483, mais ce sera Richard de Gloucester qui montera sur le trône, prenant le nom de Richard III.

Que sont devenus les princes ?

À partir de l’été 1483, on ne les verra plus. Le témoignage d’un moine italien de passage rapporte qu’Édouard, malade, se tient prêt à mourir.  Les « on-dit » s’amplifient qui désignent leur oncle comme, sinon leur assassin, du moins le commanditaire de leur mort. Le talent de Shakespeare, avec la pièce Richard III, fera de cette rumeur persistante une quasi-vérité. Leur mère aurait été informée de ces assassinats et se serait depuis consacrée à l’avènement de sa fille aînée Élisabeth d’York sur le trône d’Angleterre. Avec succès, puisque, deux ans plus tard, du fait de son mariage avec Henri Tudor, vainqueur de Richard III et devenu Henri VII, celle-ci devient reine. Ce mariage met fin à la guerre des Deux Roses et la mère des petits disparus est rétablie dans ses droits ainsi que les deux enfants (à titre posthume bien que leur mort n’ait jamais été prouvée ?). Les restes supposés des deux princes, retrouvés au XVIIe siècle, reposent à Westminster. À bonne distance de ceux de leur oncle, dont le squelette n’a été exhumé et identifié qu’en 2012, sous un parking, et qui est enterré dans la cathédrale de Leicester.

Lire aussi : Le premier roi des États-Unis : ce prince qui a refusé le trône américain

Sources : France 3, Revue des Deux Mondes

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.