Le destin de Charles-Albert de Savoie est totalement étonnant. Ce prince de la branche cadette de la Maison royale de Savoie, qui à cette époque régnait sur la Sardaigne, n’était pas destiné à devenir roi. Il succédera pourtant à son lointain cousin en 1831. Sa mort, peu de temps après son abdication, survint de manière très pieuse. Il s’était retiré à Porto, malade, dans une coquette demeure donnant sur le Douro, dont sa pièce favorite fut l’oratoire, où il se rendait jour et nuit pour implorer la clémence de Dieu.
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Un prince de Carignan qui n’était pas destiné à devenir roi de Sardaigne
Le prince Charles-Albert de Savoie-Carignan est né en octobre 1798 dans le palais Carignan de Turin. Issu de la branche des princes de Carignan, il héritera de ce titre à la mort de son père en 1800, soit à l’âge de 2 ans. Le titre avait été conféré pour la première fois en 1620 par Charles-Emmanuel 1e, souverain du duché de Savoie et de la principauté de Piémont, à son fils cadet, Thomas. La branche aînée, quant à elle, était devenue une branche royale depuis que le duc de Savoie avait hérité du royaume de Sicile, à la signature du Traité d’Utrecht en 1713. Peu de temps après, en 1720, le nouveau roi de Sicile avait échangé son royaume contre celui de Sardaigne avec l’empereur Charles VI, pour des raisons de proximité géographique.

À sa naissance, Charles-Albert n’est que 7e dans l’ordre de succession au trône de Sardaigne et rien ne laisse présager qu’il deviendra bien roi en 1831. À cette époque, le roi Charles-Emmanuel IV n’a pas d’enfants mais il a deux frères, dont l’un des deux a lui-même déjà un fils. Au fil des ans, les héritiers des rois de Sardaigne meurent prématurément, et on comprend que Charles-Albert devient peu à peu un héritier potentiel. Éduqué en France, il est ramené en Italie pour parfaire son éducation. En 1817, il épouse Marie-Thérèse de Toscane, avec qui il aura des enfants.
Le roi Charles-Albert : un réformateur en guerre contre l’Autriche
En 1831, Charles-Albert succède à son lointain cousin, Charles-Félix, mort sans enfants, malgré les tentatives de l’empêcher de monter sur le trône, en envisageant même d’abolir la loi salique pour y parvenir. Son règne est celui des réformes. On lui doit aussi la promulgation du Statut fondamental de la Monarchie de Savoie, couramment appelée Statut albertin, qui régit les lois de la monarchie. Le statut vient remplacer les États de Savoie qui étaient encore d’usage dans le royaume. Le Statut albertin restera en usage dans le futur royaume d’Italie, et ce jusqu’à l’abolition de la monarchie.

Le roi Charles-Albert s’engagera aussi dans des conflits, dont la guerre d’insurrection contre l’Autriche, qui contrôlait plusieurs territoires dans la péninsule italienne. Après une série de victoires en 1848, l’armée sarde est finalement vaincue à Custoza et le roi doit accepter l’armistice. L’année suivante, il est définitivement battu à Novare le 23 mars 1849.
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L’abdication de Charles-Albert et son exil volontaire à Porto
Dans la soirée du 23 mars, le roi Charles-Albert abdique en faveur de son fils, Victor-Emmanuel II. L’acte est signé à 21 heures 30 : « Ma décision est le fruit d’une mûre réflexion ; à partir de ce moment je ne suis plus le roi ; le roi est Vittorio, mon fils ». Victor-Emmanuel II réalise le rêve de son père de devenir le premier roi de l’Italie unifiée, en 1861, réunissant dans un seul grand royaume les différents territoires indépendants.

Directement après son abdication, vers 23 heures, Charles-Albert part en exil volontaire. Sa voiture est d’abord arrêtée à un point de contrôle autrichien. Il décline son identité en tant que comte de Barge, titre qu’il possédait réellement. Il continua son chemin vers le sud-est. Arrivé à Nice, alors partie du royaume sarde, on lui fournit un passeport pour l’aider à voyager. Il arrive à Bayonne une semaine plus tard, le 1e avril, puis traverse la frontière espagnole. Il continue de Torquemada jusqu’à La Corogne, où les chemins praticables en voiture se font bientôt rares.
Il continue son chemin à cheval, passe la frontière portugaise à Caminha le 15 avril et arrive finalement à Porto le 19 avril. Malade, épuisé par son voyage, l’ancien roi doit renoncer à son projet d’embarquer pour l’Amérique.

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L’ancien roi de Sardaigne est installé dans une quinta donnant sur le Doura
Il est d’abord hébergé à l’hôtel do Peixe pendant deux semaines, puis des contacts lui dénichent une coquette villa, la Quinta das Macieiras aussi appellée Quinta da Macieirinha, où il pourra s’installer.



Cette demeure, située dans la rua de Entre Quintas surplombe le Douro. La résidence à flanc de colline est plutôt sobre mais sa vue sur le fleuve offrit un paysage reposant au souverain épuisé.

Plus les jours passaient, plus la santé du roi était préoccupante. Il s’émaciait progressivement, il souffrait de toux et d’abcès. Il fut victime de deux crises cardiaques mais ses médecins étaient bien plus préoccupés par l’état de son foie. Ils lui conseillèrent alors de jeûner. Il passait ses journées à lire les journaux, prier et écrire. Il a entretenu une conversation épistolaire avec son épouse et avec sa maîtresse, la comtesse Marie-Antoinette de Robilant. Il demanda à ses enfants, sa mère et son épouse de ne pas lui rendre visite.
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Le roi meurt pieusement avec un crucifix dans la main
Le 28 juillet, il fait une troisième crise cardiaque, alors qu’il se sentait mieux en matinée. Il reçoit l’extrême-onction du prêtre portugais Don Antonio Peixoto et prononce en latin « Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». Il meurt avec son crucifix dans les mains croisées sur sa poitrine, le 28 juillet 1849 à 15 heures 30, à 50 ans.

Sa dépouille embaumée est d’abord présentée au public en la cathédrale de Porto. Le 3 septembre arrive un navire envoyé par son cousin, Eugène-Emmanuel de Savoie-Carignan. Le 19 septembre, la dépouille est embarquée à bord du Monzambano. Le 4 octobre, le navire arrive à Gênes. Ses obsèques ont eu lieu à Turin le 13 octobre et le lendemain, il a été inhumé dans la crypte de la basilique de Superga.

S’il y a bien une qualité qui honore la mémoire du roi Charles-Albert, c’est sa piété. Selon lui, nos mauvaises habitudes pouvaient être amoindries par un cœur bon et pur, que seule la religion pouvait guérir. L’ancien roi avait fait aménager dans sa dernière demeure un oratoire à prière. Il s’y retirait dans la journée pour prier et se réveillait aussi en pleine nuit pour s’y rendre. Il priait aussi pour que les plus démunis ne perdent pas espoir. Il implorait la clémence de Dieu et lui faisait la promesse d’accepter son destin une fois son heure venue, lui demandant également d’abréger ses souffrances.

Dans la Quinta das Macieiras, devenue aujourd’hui un musée, on peut toujours voir l’oratoire dans lequel se trouvait la chaise sur laquelle s’agenouillait le roi Charles-Albert, face au petit autel. L’autel était surmonté d’une croix. On remarque aussi la présence de deux tableaux aux murs. Une toile représente la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, l’autre est une représentation classique du Christ crucifié.


Quelques années après la mort de Charles-Albert, sa demi-sœur, la princesse Augusta de Montléart, fit ériger une chapelle en mémoire du roi, non loin de la villa. La chapelle est considérée comme le plus important cénotaphe romantique du Portugal car il se trouve à présent au cœur des magnifiques jardins du Palais du Cristal, lieu aménagé pour l’Exposition universelle de 1865.

La Quinta das Macieiras avait été construite au milieu du 18e siècle. La maison a été rachetée au début du 19e siècle par António Ferreira Pinto Basto, un richissime marchand de vin de porto. L’homme d’affaires fut touché par le destin du roi déchu et lui ouvrit les portes de sa résidence d’été. En 1972, la maison est ouverte au public, réaménagée dans le style d’une ancienne maison bourgeoise du 19e siècle. En 2021, la municipalité de Porto a dépouillé la maison de tous ses ornements bourgeois sans consultation publique. La maison est aujourd’hui connue comme le Musée romantique. Une terrasse aménagée le long de la maison permet de se restaurer en profitant la somptueuse vue sur le Douro, qui donne sur la rive voisine de Villa Nova de Gaia.