Il y a 100 ans disparaissait la grande-duchesse Marie-Adélaïde de Luxembourg. La période difficile dans laquelle s’inscrit son règne ne rend pas justice à sa mémoire, souvent boudée par l’histoire. Montée sur le trône à presque 18 ans, la grande-duchesse Marie-Adélaïde a abdiqué pour sauver la monarchie. La vie n’aura pas épargné cette femme de foi, qui poussera son dernier souffle, affaiblie par la maladie à 29 ans.
Lire aussi : La princesse Claire de Luxembourg donne naissance à son troisième enfant
Naissance de Marie-Adélaïde de Luxembourg durant le règne de son grand-père Adolphe
La princesse Marie-Adélaïde de Nassau est née le 14 juin 1894. Elle est la fille aînée de Guillaume, lui-même fils aîné et héritier dynastique du grand-duc Adolphe. Le grand-duc Adolphe venait à peine de monter sur le trône luxembourgeois, en 1890, lorsque Marie-Adélaïde vit le jour au château de Berg. Adolphe avait régné auparavant sur le duché de Nassau, jusqu’à son annexion au royaume de Prusse, en 1866.

Lire aussi : Le grand-duc Henri et la grande-duchesse Maria Teresa partagent leurs plus beaux moments familiaux de 2023
En 1890, le roi Guillaume III des Pays-Bas, qui était aussi grand-duc de Luxembourg, décède et sa fille, Wilhelmine lui succède. La loi salique étant en vigueur au Luxembourg mais pas aux Pays-Bas, c’est un cousin mâle le plus proche qui fut appelé à succéder au Luxembourg. C’est ainsi qu’Adolphe, souverain de l’ancien duché de Nassau à la retraite, devint grand-duc de Luxembourg. Son fils, le grand-duc Guillaume IV lui succéda en 1905.

Le règne de Guillaume IV fut bref et tourmenté, après son attaque cérébrale en 1906 qui l’amenuise physiquement et mentalement. Le grand-duc Guillaume avait épousé Marie-Anne de Bragance, fille du roi Michel 1er de Portugal. Le couple avait eu six enfants… que des filles. Le trône allait donc échoir à son plus proche cousin, soit le fils du demi-frère du grand-duc Adolphe, issu d’une relation morganatique. Pour éviter cette succession, Guillaume IV fait ratifier en 1907 une loi interne de la Maison régnante par la Chambre des députés, reconnaissant sa fille aînée, Marie-Adélaïde comme son héritière. La princesse n’a alors que 13 ans.

À 17 ans, Marie-Adélaïde devient la première femme à régner sur le grand-duché de Luxembourg
La santé de Guillaume IV est déclinante et le 25 février 1912, il s’éteint au château de Berg. Sa fille devient la grande-duchesse Marie-Adélaïde de Luxembourg, à seulement 17 ans et 8 mois. Son accession sur le trône marque un tournant dans l’histoire de la monarchie luxembourgeoise. Elle est la première monarque luxembourgeoise née sur le sol luxembourgeois depuis le 13e siècle. Elle est aussi la première souveraine du grand-duché, pays qui venait de se séparer de la couronne néerlandaise, en raison de son refus d’accepter une femme sur le trône. À cette époque, il n’est pas encore fréquent en Europe de voir une femme devenir chef d’État. Le très jeune âge de la souveraine laisse aussi quelques doutes quant à sa véritable capacité de diriger un pays.

Pendant quelques mois, alors que Marie-Adélaïde est encore mineure, c’est sa mère, la grande-duchesse douairière Marie-Anne qui assure la régence. La mère de la Grande-Duchesse est habituée à cette tâche, ayant déjà assuré la régence durant le règne de son défunt mari, dont la capacité à régner était altérée depuis son attaque cérébrale. À 18 ans, la grande-duchesse Marie-Adélaïde prononce un discours devant la Chambre des députés, prête à régner. Contre toute attente, la jeune femme est plutôt affirmée.

Une souveraine pieuse et intransigeante
Elle place son règne sous la devise latine « Judicate Juste » de l’empereur du Saint-Empire, Henri VII (1278-1313), issu de la Maison de Luxembourg. « C’est le désir de juger conformément aux exigences de la justice et de l’équité qui inspirera tous mes actes. Le Droit et l’Intérêt général seuls me guideront ! », affirme alors la jeune souveraine face aux parlementaires. « Juger juste, n’est-ce pas la Justice égale pour tous, mais aussi la Justice protectrice des humbles et des faibles ? L’inégalité économique croissante entre les hommes est la grave préoccupation de notre époque. La Paix sociale, si ardemment désirée, est restée jusqu’ici un fuyant idéal. Ne faut-il pas faire œuvre de rapprochement et de solidarité ? »

Ces mots très engagés socialement ne sont pas des paroles en l’air. La grande-duchesse Marie-Adélaïde compte véritablement s’engager et mener ses combats contre les inégalités. Rapidement, elle va froisser le monde politique. Elle n’outrepassera jamais son rôle, toujours respectueuse de la Constitution, toutefois ses actions seront critiquées et mal perçues par le monde politique. Fervente catholique, elle revendique avoir été placée sur le trône « par la Grâce de Dieu ». Sa foi sera aussi opposée aux réalités politiques moins conservatrices de son époque.
Il sera reproché à la souveraine d’avoir attendu plus de six mois pour promulguer la « loi Braun », qui réorganise l’école primaire, en la rendant gratuite pour toute mais qui participait aussi à la laïcisation de l’enseignement. Deux ans seulement après le début de son règne, le Luxembourg est envahi par les Allemands. C’est le début de la Première Guerre mondiale. Les cinq sœurs de la grande-duchesse Marie-Adélaïde ont toutes épousé des princes allemands, à l’exception de Charlotte. Charlotte a épousé le prince Félix de Bourbon-Parme, fils du souverain Robert 1er de Parme. Félix a toutefois lui aussi des accointances germanophiles par sa sœur Zita, qui fut impératrice d’Autriche.
Lire aussi : Première apparition de la princesse Alexandra enceinte : diadème feuilles de vigne et tenue de gala avec Nicolas
Une abdication pour sauver la monarchie
Durant la guerre, l’envahisseur ne touche pas à la structure étatique du pays mais le Luxembourg connaît une crise politique interne. En 1915, Paul Eyschen, Premier ministre historique, qui a dirigé le gouvernement luxembourgeois pendant plus de 27 ans et durant le règne de quatre souverains, décède. Le libéral Mathias Mongenast lui succède. Ce nouveau Premier ministre va vite se heurter aux convictions de la grande-duchesse Marie-Adélaïde, qui refuse la nomination de son Directeur de l’École, jugé pas assez catholique. Mongenast abandonnera son poste après 25 jours. Ses successeurs, Loutsch, Thorn et Kauffman occuperont ce poste tour à tour pour de courtes périodes.

À la fin de la Première Guerre mondiale, le Luxembourg est empêtré dans une crise politique importante et la souveraine cristallisera toutes les critiques. Accusée de complaisance envers l’envahisseur après avoir invité le Kaiser au Palais et les liens familiaux qui existent entre la famille de Nassau et l’Allemagne ne jouent pas en sa faveur. La Belgique a des visions annexionnistes et la France a des intérêts économiques certains qu’elle convoite sur le territoire.
Le 9 janvier 1919, des troubles révolutionnaires éclatent alors dans la capitale. La petite Compagnie des Volontaires entre en mutinerie et la république est proclamée par les libéraux et socialistes. La France envoie ses troupes pour rétablir l’ordre. La grande-duchesse Marie-Adélaïde accepte d’abdiquer pour calmer la gronde. Célibataire et sans enfants, sa plus proche parente est sa sœur, Charlotte. La grande-duchesse Charlotte monte alors sur le trône grand-ducal le 15 janvier 1919.

Lire aussi : Henri et Maria Teresa de Luxembourg scintillants sur le tapis du 10e festival du film luxembourgeois
L’ancienne Grande-Duchesse se retire au couvent
La grande-duchesse Charlotte accepte l’organisation d’un référendum qui permette à la population de sceller son sort. Le 28 septembre 1919, les Luxembourgeois se prononcent à 77,8 % pour le maintien de la monarchie sous le règne de la grande-duchesse Charlotte. L’ancienne grande-duchesse Marie-Adélaïde quitte le territoire pour rejoindre un couvent en Italie. Quant à la grande-duchesse douairière Marie-Anne, dont l’influence est encore redoutée, elle est aussi priée de se retirer. Marie-Anne rejoindra le château de Hohenburg, situé à Lenggries, en Bavière.

L’ancienne grande-duchesse Marie-Adélaïde peut enfin vivre sa pieuse vie comme elle l’entend. Son séjour au couvent des carmélites de Modène, en Italie, sera toutefois de courte durée. Sa santé fragile ne sera pas adaptée à l’austérité des lieux. Elle change de cloître mais son expérience monacale prend fin. Elle rejoint finalement sa mère au château de Hohenburg. Elle entame ensuite des études de médecine à Munich. En 1924, rattrapée par la maladie, elle s’éteint à seulement 29 ans, le 24 janvier 1924. Il y a tout juste 100 ans.


En sa mémoire, la grande-duchesse Charlotte prénomme sa troisième enfant Marie-Adélaïde, née le 21 mai 1924, quelques mois après le décès de l’ancienne souveraine. L’histoire ne rendra pas justice à la grande-duchesse Marie-Adélaïde, une souveraine entière dont les convictions lui ont valu des maladresses. On sait aussi aujourd’hui qu’une part des griefs qui lui sont reprochés sont liés à son entourage. Guidée par des conseils peu judicieux et par sa foi rigoureuse, Marie-Adélaïde fut une souveraine incomprise, jugée intransigeante. En 1947, sa dépouille est transférée à la cathédrale de Luxembourg.