Meurtre, accident, suicide ? La mort de Rama VIII, un insondable mystère

Pourquoi se donner la mort quand on accède au trône du merveilleux, du légendaire, royaume de Siam ? Il est vrai que le Siam n’existe plus sur les cartes du monde, il a disparu en 1939, s’est métamorphosé, prenant le nom de Thaïlande. Ses anciens dirigeants, quant à eux, sont toujours présents, ils remontent au XVIIIe siècle, à l’époque où un prince fonde en 1782 la dynastie Chakri, dont les monarques successifs prendront le nom dynastique de Rama, avatar du dieu Vishnou dans la religion hindouiste. L’un d’eux, roi éphémère sous le titre de Rama VIII, connaîtra le destin le plus tragique, d’autant que les causes de sa mort, à 21 ans, demeurent un insondable mystère.

Monté sur le trône à 9 ans et mort à 20 ans : la mort du roi Rama VIII reste un mystère (Photo : Domaine public)

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Une famille cosmopolite 

Le futur roi de Thaïlande Rama huitième du nom naît prince Ananda Mahidol le 20 septembre 1925 à Heidelberg en Allemagne où ses parents, le prince Mahidol Adulyadej et son épouse sont étudiants. C’est le premier prince de la dynastie à naître hors des frontières de son pays. Le jeune couple a déjà une fille. Et, en famille, ils vont s’installer à Paris, à Lausanne, aux États-Unis où le prince son père devient docteur en médecine à l’université de Harvard. Le petit frère, Bhumibol Adulyadej, promis à un surprenant destin, naît sur le sol américain, en 1927 à Cambridge, Massachusetts, et personne alors ne peut imaginer à quel point les évènements vont cruellement marquer et séparer leur fratrie.

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Un royaume menacé

En 1929, une mort prématurée prive la famille princière d’un mari et d’un père. Ananda Mahidol a quatre ans. La situation du royaume est troublée, gravement perturbée : il est mis fin à la monarchie absolue en 1932 et la grand-mère du futur roi, craignant pour sa sécurité, encourage un an plus tard le départ de la veuve et des enfants pour la Suisse, alléguant impératifs de santé et d’éducation. Ce sera une véritable patrie d’adoption pour les enfants et leur mère, qui retournent vivre à Lausanne, alors que le roi, oncle des enfants, abdique en 1935 et qu’un conseil de régence gouverne le pays. Ce temps d’insouciance, des bonheurs enfantins dans les plaisirs de la neige – on dit les deux frères inséparables – n’est hélas pas appelé à connaître de futur.

Le roi Ananda (Rama VIII) à côté de son frère cadet, Bhumibol, qui lui succèdera en 1946 (Photo : Domaine public)

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Le roi choisi

Fils aîné, c’est Ananda qui est choisi pour succéder à Rama VII après son abdication. La tradition exigeait que les membres aînés de la famille royale se réunissent pour choisir le prochain roi. Le jeune garçon de dix ans devient roi mais reste en Suisse auprès de sa mère, il ne fera son premier voyage dans le pays de ses ancêtres qu’en 1938, toujours accompagné des siens. Épris de la monarchie, le peuple est heureux de saluer son souverain.

C’est à cette période que le régent – un dictateur militaire – fait évoluer le nom de Siam en Thaïlande, sans que cela change quoi que ce soit à la fidélité des sujets et à la profondeur de leurs sentiments envers la dynastie régnante. La guerre ramène cependant le jeune garçon et sa famille en Suisse et il faudra attendre 1945, la fin des combats, pour que le jeune monarque retrouve son pays.

Est-ce un mauvais présage ? On prête en janvier 1946 au vainqueur allié, Lord Mountbatten, commandant britannique en Asie du Sud-Est, ces paroles sur le jeune homme : « un garçon effrayé et myope », « une figure pathétique et solitaire ».

Ananda Mahidol, Rama VIII, photographié à 13 ans en 1938 (Photo : Domaine public)

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Meurtre, accident, suicide ?

Le roi et sa famille résidaient en Thaïlande pour le couronnement d’Ananda. Le 9 juin 1946, au palais de Bangkok, c’est sa mère qui l’éveille, tôt le matin ; le personnel à son service se succédera dans sa chambre, jusqu’à la visite de son frère à 9 h (il aurait trouvé Ananda assoupi) et enfin, à 9h20, retentit un coup de feu, Ananda est mort, une balle de colt 45 dans la tête, étendu sur le dos, le visage ensanglanté tourné vers le plafond. Peu de temps après, trois coupables désignés parmi les serviteurs royaux paieront le « crime » de leur mort.

Le roi Ananda deux mois avant sa mort mystérieuse, en 1946 (Photo : Domaine public)

Les livres qui se sont succédé pour tenter de définir les causes exactes de la mort du roi n’ont abouti qu’à des affirmations sans preuves, convictions opposées ou convergentes. Nombre de ces ouvrages, voire de ces thèses, sont frappés d’interdiction en Thaïlande, le pays où critiquer, même du bout des lèvres, la famille royale est un crime de lèse-majesté, passible de trois à quinze années de prison.

Tel auteur penche pour l’assassinat politique qui aurait été fomenté par le premier ministre, tel autre admet la thèse de l’accident. Paul Handley, auteur américain d’une biographie non autorisée du frère cadet devenu Rama IX – Le roi qui ne sourit jamais – parle d’un accident survenu au cours d’un jeu entre les deux frères. Personne ou presque ne semble plus accréditer la thèse du suicide par amour, jugée peu probable malgré l’existence d’une belle condisciple à Lausanne, fille de pasteur.

Qui saura jamais pourquoi le sort a condamné « La joie de Mahidol » – c’est la signification du nom du roi défunt en langue thaïe – et réservé un long et glorieux avenir à son frère dont le nom se traduit par « Force de la terre, pouvoir inégalé », Rama IX ? Une prophétie, dit-on, avançait aussi que la dynastie Chakri s’éteindrait au neuvième souverain, pourtant Rama X, neveu d’Ananda, est aujourd’hui monté sur le trône, depuis la mort de son père en 2016. Le frère cadet d’Ananda, Rama IX, aura connu un règne parmi les plus longs…

Source : Le Figaro, Libération, Les Observateurs

Sylviane Lamant

Sylviane est diplômée en Littérature française. Biographe et professeur, elle partage avec Histoires Royales sa passion pour l'histoire.