Pourquoi dit-on la « reine de Danemark » ?

La reine Margrethe II règne sur le Danemark depuis 1972. Elle est la reine de Danemark depuis la mort de son père, le roi Frederic IX de Danemark. Écrire la « reine du Danemark » est-il incorrect ? Pourquoi dire la « reine de Danemark » ? Comme souvent, l’usage fait la règle et en ce sens « du » ne pourrait-il pas un jour venir remplacer « de » ?

Pourquoi dit-on la reine de Danemark et non la reine du Danemark ? (Photo : Kim Refslund, DR ©)

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La reine du Danemark titrée reine de Danemark

Écrire la reine du Danemark n’est grammaticalement pas faux. La tournure est même celle privilégiée par la grammaire si on veut exprimer que la reine vient du Danemark. Tout comme on dirait le « roi de Belgique » pour exprimer qu’il s’agit du roi habitant la Belgique. Par contre, le titre « reine du Danemark » est tout aussi faux que le titre de « roi de Belgique ». Les titres sont « reine de Danemark » et « roi des Belges ».

Le titre « roi des Belges » s’explique simplement par un mimétisme du titre « roi des Français » et d’autres titres comme « roi des Bulgares » ou « roi des Hellènes », des titres qui ont été créés fin 18e début 19e siècle pour indiquer symboliquement un transfert de souveraineté vers le peuple et ne plus identifier le pays comme une possession personnel du souverain.

Ceci n’explique donc pas pourquoi le reine Margrethe II est la reine « de » Danemark. Cette particularité tient plus d’une modification de la langue que d’une modification symbolique et volontaire du titre. Comme toujours, le français est plutôt compliqué et la règle à suivre est celui des articles utilisés pour désigner les noms de pays.

L’article des noms de pays a droit à son chapitre entier dans les manuels d’apprentissage du français aux étrangers. Entre le masculin, le féminin et le pluriel, il y a des règles qui suivent une logique, des règles arbitraires et des exceptions. Selon les études linguistiques sur le sujet, les pays sont devenus soit masculins soit féminins en fonction de l’usage, qui lui-même était influencé à la fois par la taille du pays et sa proximité avec la France.

Ainsi, le Danemark est masculin. Expliquer ici la raison pour laquelle le mot Danemark est masculin et non féminin n’a pas beaucoup d’importance dans ce cas. Ce qui est intéressant est ensuite de s’intéresser aux prépositions utilisées devant ces pays. La règle, cette fois-ci, est plus claire mais assez complexe. Les pays féminins sont précédés de « en » (Je vais en France), les pays masculins sont soit précédés de « en » si le mot commence par une voyelle (Je vais en Irak), soit de « au » s’il commence par une consonne (Je vais au Sénégal). Ensuite, il y des exceptions, comme pour les îles et les petits pays masculins (qui n’ont pas d’article et on dit « à Bahreïn », « à Monaco », « à Chypre », « à Malte », « à Cuba ») et les noms de pays qui sont formés sur d’autres noms propres ou les exceptions qui n’utilisent pas d’article (« en Israël »).

Mais cette règle, quelque peu compliquée n’a pas été toujours aussi figée. Pendant plusieurs siècles, l’usage faisait plus facilement la règle. Ainsi, Voltaire écrit dans son Traité sur la tolérance en 1763 : « Un des plus étonnants exemples de fanatisme a été une petite secte en Danemark ». Dans le livre de référence Le bon usage de Maurice Grévisse, de l’édition de 1969, en page 264, le grammairien fait remarquer que dans l’usage on utilise aussi fréquemment « en Danemark ». Le même cas s’applique pour « en Portugal », parfois « en Luxembourg » et même « en Canada ».

La reine de Danemark fait exception (Photo : Kongehuset)

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Un archaïsme exceptionnel pour Margrethe II

Cela veut donc dire que jusque dans les années 60, il n’était pas rare d’utiliser aussi bien « en Danemark » qu’ « au Danemark ». Qu’en est-il de la reine « de » Danemark ? Tout simplement, la même explication d’usage peut être avancée. En principe, pour les pays féminins, on laisse tomber l’article (le roi de France et pas « de la France », le roi d’Italie et pas « le roi de l’Italie », ainsi que l’empereur « de Chine »). Pour les pays masculins commençant par une voyelle, la même règle s’applique que pour les pays féminins (le roi d’Irak) et pour les pays masculins commençant par une consonne, il y a la contraction de « de le » qui devient « du » (Léopold II fut « roi du Congo »). Mais là encore, en se basant sur la préposition « en » pour le Danemark, qui faisait usage pendant longtemps, c’est la préposition « de » qui a fait usage pour le titre de reine de Danemark.

On le sait, lorsqu’il est question de titres, de monarchie et de protocole, rarement sont associés les qualificatifs de modernité et avant-gardisme. C’est pourquoi, par usage quelque peu vieillot certes, le terme de « roi de Danemark » est resté. La monarchie danoise est la deuxième monarchie la plus ancienne au monde encore en activité aujourd’hui, après celle du Japon. Pendant des siècles, alors que l’usage préférait « aller en Danemark » et qu’aucune règle ne prévoyait de dire que les noms de pays masculins prenaient la préposition « au », il était tout aussi naturel de s’incliner devant le roi « de Danemark ».

L’Office québécois de la langue française, dont l’usage du français, on le sait, réserve parfois quelques archaïsmes, explique simplement que l’article tombe après « royaume » ou « roi » devant les noms de pays féminins et les masculins commençant par une voyelle, ainsi qu’exceptionnellement devant Danemark et Portugal, sans réellement donner d’explication. L’explication est donnée par Maurice Grévisse, qui lui indique que la règle veut que pour les pays européens, on omette simplement l’article après « roi », « royaume », « duc », « comté », etc.

Il en va donc de même pour le titre de roi « de Portugal ». Le dernier souverain portugais, Manuel II, a été renversé en 1910. À l’époque de l’abolition de la monarchie au Portugal, il était donc fréquent de dire qu’on allait en voyage « en Portugal » et qu’on risquait d’y croiser le « roi Manuel II de Portugal ». L’expression est restée figée depuis lors. Une autre explication, qui convainc plus pour le Portugal que le Danemark, peut aussi être celle du titre de noblesse attaché à un territoire régional. On dit le « duc de Brabant » et non le « duc du Brabant ». Ici, « de » n’est plus à considérer comme une préposition mais comme une particule. Le Portugal, avant d’être un pays, était un comté et d’ailleurs, le titre originel lors de l’unification des territoires était celui de « roi de Portugal et des Algarves ».

Comme nous l’avons vu, le Luxembourg connaissait ce même sort. On partait en visite « en Luxembourg ». Aujourd’hui encore, le grand-duc Henri est le « grand-duc de Luxembourg » et non le « grand-duc du Luxembourg ». Dans le cas du Luxembourg, la deuxième explication est aussi valable. Pendant des siècles, le territoire luxembourgeois était connu comme le « duché de Luxembourg », en référence ici au nom d’une ville.

L’explication est donc multiple et la réponse tient probablement d’un peu des deux raisons évoquées (usage incertain de la préposition devant un nom de pays européen et confusion avec la particule). Comme l’usage fait la règle et qu’il fut un temps on partait en voyage « en » Danemark alors qu’aujourd’hui on part en voyage « au » Danemark, ne pourrait-on pas faire aujourd’hui de Margarethe II la reine « du » Danemark ? Peut-être, mais c’est aussi ces particularités qui font le charme de la langue et le bonheur des spécialistes.

Quant à l’Académie française, qui a toujours le dernier mot, la réponse semble vulgairement dire « chacun fait comme il veut ». En 2017, l’Académie répond au courrier d’une internaute de Suisse qui se pose cette même question. Selon l’Académie, puisque le ministère des Affaires étrangères désigne officiellement le pays comme « le Danemark », il faudrait dire « le roi du Danemark ». Néanmoins, l’Académie admet aussi que dans son propre dictionnaire on y retrouve la mention de « roi de Suède et de Danemark ». Elle indique aussi que la fameuse phrase dans Hamlet de Shakespeare est bien traduite en français par : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark. » En conclusion, la forme « de » est plus traditionnelle et historiquement la plus utilisée. L’usage actuel, dans un souci d’uniformisation pourrait être « du ». La réponse de l’Académie est formulée comme telle : « Les deux formes sont correctes, mais la forme avec du est plus moderne et plus répandue de nos jours. »

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Une subtilité de particule qui a toute son importance au Danemark

Si la question de la préposition/particule se pose en France, pour la petite histoire, une même question se pose au Danemark, même si les deux ne sont pas liées. Il existe en réalité deux dénominations différentes depuis 1953, date de changement de la constitution.

En 1953, Frédéric IX est âgé de 54 ans. Son épouse, la reine Ingrid est âgée de 42 ans. Ils sont les parents de trois filles, la princesse Margrethe, la princesse Benedikte et la princesse Anne-Marie, et n’auront probablement pas de garçon. Pour assurer à sa descendance de monter sur le trône, la constitution est modifiée en vue d’abolir la loi salique et de permettre à sa fille aînée de devenir reine. Une restructuration totale de la famille royale a lieu, puisque cette modification ne vient pas seule.

En même temps, la règle de succession restreint uniquement les prétendants au trône aux descendants du roi Christian X et de la reine Alexandrine, les parents de Frédéric IX. Sont alors exclus les membres de la famille royale plus éloignés du souverain, dans les branches cousines. Le titre de « prins til Danmark » est réservé aux membres figurant dans l’ordre de succession. Les autres sont simplement « prins af Danmark ». On pourrait tenter une traduction en « prince en Danemark » et « prince de Danemark », comme il existe les titres de « duc en Saxe » et « duc de Saxe » ou « duc en Bavière » et « duc de Bavière ». « Til » est l’équivalent de « to » en anglais et « af » de « of ».

Ainsi, tous les princes et princesses descendant de Christian X, nés dans la famille royale, sont princes « til Danmark ». Les époux et épouses qui obtiennent le titre par mariage ne sont pas nés dans la famille royale et portent donc le titre de princes et princesses « af Danmark ». Il en va de même pour la reine. Margrethe II est reine « til Danmark ». Son fils, l’actuel prince héritier « til Danmark », deviendra un jour le roi Frederik X « til Danmark ». Par contre, son épouse, l’actuelle princesse héritière Mary « af Danmark », deviendra reine « af Danmark ». Il y a donc une différence entre la reine régnante et la reine consort.

Il existe aussi une confusion en danois, car la presse généraliste et la population peu instruite sur les questions royales ont tendance à utiliser « af » pour tout le monde, étant donné qu’il s’agit de la préposition la plus logique d’un point de vue grammatical. Également « af » correspond à notre « petit de », la particule que l’on retrouve dans les noms de la noblesse.

Les princes « af Danmark » sont aujourd’hui plus nombreux qu’on le pense. Outre les époux et épouses, il y a également les membres de la famille royale grecque. Tous les princes de Grèce sont aussi prince de Danemark. On pourrait volontairement dire prince « du Danemark » ou « en Danemark » si on voulait respecter cette différence en français, mais cela risquerait de compliquer encore plus les choses.

Les membres de la famille royale grecque sont princes de Danemark, simplement parce que leur roi élu, Georges 1e, était le deuxième fils du roi Christian IX. Né le 24 décembre 1845, il portait le prénom de naissance de Guillaume, issu de la famille royale de Danemark, dont le nom est Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg, une branche cadette de l’ancienne famille d’Oldenburg. Bien que devenu roi des Hellènes, le souverain garda son titre princier et la Couronne danoise a accepté qu’il ne renonce pas à ses titres, ni pour lui ni pour ses descendants.

La proximité de la famille royale grecque et de la famille royale danoise, issues de branches cadettes de la maison d’Oldenbourg (Image : Histoires Royales)

Pendant plusieurs générations, tous les membres de la famille royale grecque restaient des membres à part entière de la famille royale danoise et figuraient dans l’ordre de succession au trône danois, tout comme aujourd’hui, de nombreux membres de familles royales étrangères figurent dans l’ordre de succession au trône britannique, qui théoriquement n’a pas établi de limite dans l’ordre.

Le prince Philip, fils du prince André et petit-fils du roi Georges 1e, est né en 1921, prince de Grèce et de Danemark. En épousant la future reine Elizabeth II en 1947, il a dû renoncer à ses titres étrangers et toutes ses prétentions aux différents trônes. Il était à l’époque 11e dans l’ordre de succession au trône grec. Sa place dans l’ordre de succession au trône danois n’est pas connue. Il devait cependant être éloigné.

En 1953, la nouvelle règle de succession prive la branche grecque de toute prétention au trône, en limitant l’ordre aux descendants de Christian X. Les membres de la famille royale grecque sont restés princes « af Danmark » et n’ont pas pu adopter la nouvelle particule « til ».

Petite particularité. En 1964, la princesse Anne-Marie « til Danmark » (depuis 1953), sœur cadette de l’actuelle reine Margrethe II, a épousé le roi Constantin II de Grèce, lui-même de naissance prince « af Danmark », et ne figurant plus lui-même dans l’ordre de succession au trône danois depuis 1953. En épousant un souverain étranger, Anne-Marie dût accepter de perdre ses droits dynastes au Danemark. Comme son époux, elle redeviendra princesse « af Danmark ».

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr