Le 6 juin 1831, le prince Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha apprenait qu’il venait d’être élu roi des Belges. Le 16 juillet, il quittait sa résidence dans la campagne anglaise, abandonnait sa vie à la cour britannique et rejoignait la patrie qui l’accueillait en tant que souverain. Après avoir parcouru de nombreux kilomètres de routes et de plages en calèche, une traversée en bateau et des haltes dans le nord de la Belgique, le 21 juillet 1831, c’est sur la place Royale de Bruxelles, où une estrade richement décorée était installée, que le premier roi des Belges a prêté serment.
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À la recherche d’un roi pour la Belgique
Le 25 août 1830, la révolution belge débute, en pleine représentation de La muette de Portici à l’opéra de La Monnaie. Le 28 septembre, après des semaines d’émeutes et de bains de sang, la déclaration d’indépendance est criée au balcon de l’Hôtel de Ville de Bruxelles. Les Belges se séparent officiellement des provinces du nord et de leur roi, Guillaume 1e, le 4 octobre 1830. Le même jour, un Gouvernement provisoire est nommé avec à sa tête Louis de Potter de Droogenwalle.
En un mois, des élections sont organisées, et le 3 novembre, le Congrès national est élu démocratiquement. À l’époque seuls 46 000 hommes avaient obtenu le droit de vote censitaire et capacitaire. 30 000 d’entre eux ont exercé leur droit afin d’élire leurs représentants.
22 novembre 1830
Rapidement, le Congrès national se met au travail et le 22 novembre, les parlementaires choisissent comme régime une monarchie constitutionnelle à 174 voix contre 13. Le 3 février 1831, Louis d’Orléans, duc de Nemours, est élu, au bout de deux tours, premier souverain belge. Le roi Louis-Philippe 1e des Français, fraichement élu lui aussi, décline la proposition à la place de son fils, craignant que les autres grandes puissances l’accusent d’exercer un pouvoir sur le pays voisin. Une fois la proposition déclinée, le Congrès national vote pour que le baron Érasme-Louis Surlet de Chokier dirige le pays en attendant de trouver son roi.
18 avril 1831
Le 18 avril, une délégation belge s’en va parcourir l’Europe à la recherche de son roi et c’est en Angleterre qu’ils questionnent leur candidat, Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha. Ayant fait forte impression, la délégation de retour en Belgique, propose officiellement sa candidature le 25 mai. Le 4 juin 1831, après avoir étudié la proposition défendue par Joseph Lebeau, le Congrès élit à 108 voix contre 43 le prince Léopold.
6 juin 1831
Le 6 juin au matin, la nouvelle arrive jusqu’à Claremont House, dans le Surrey, la résidence mise à disposition de Léopold, veuf de la princesse Charlotte de Galles. Le prince Léopold, hôte de la cour britannique jugé de plus en plus encombrant depuis son veuvage, est informé du vote du Congrès national. Il est appelé à devenir roi des Belges.
Un an plus tôt, Léopold avait refusé une proposition similaire, en Grèce. En réalité, il avait d’abord accepté de devenir le souverain de Grèce, mais il avait fini par rejeter la proposition après une étude sérieuse du cas. Se heurtant déjà à des conditions des grandes puissances et jugeant la situation géo-politique du pays trop instable, il avait fini par se désister. En fera-t-il de même pour la Belgique ?
7 juin 1831
Le 7 juin, Léopold rejoint Londres où une délégation belge l’attend déjà pour lui présenter les documents qui scelleraient à jamais son histoire et celle de la Belgique. Léopold accepte la proposition en échange de négociations, qui aboutiront, concernant le Traité des XVIII articles. Une fois la délégation repartie, Léopold a environ un mois pour faire ses bagages.
Il se sépare de son personnel, rend les clés de Claremont House, renonce à sa dotation britannique et veut tout savoir sur la Belgique. Il la connait peu, à vrai dire. Il avait fait une halte à Liège et une à Bruxelles en 1816, alors qu’il rejoignait Londres. Il l’avait également visitée en 1829. La date de départ est fixée au 16 juillet 1831.
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Le périple de Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha de Londres à Bruxelles
16 juillet 1831
Le 16 juillet 1831, après avoir quitté Londres en calèche, il embarque à bord du yacht royal Crusader, au port de Douvres. La traversée est plutôt agitée, et il aura le mal de mer. Arrivé à Calais, c’est sous les coups de canon qu’il met les pieds sur la terre ferme. Le roi Louis-Philippe 1e avait réservé une entrée royale à son futur homologue voisin. Le général Belliard, ambassadeur de France à Bruxelles l’accueillit au port de Calais et l’installa à l’hôtel Conception pour qu’il y passe la nuit.
17 juillet 1831
Le lendemain, le 17 juillet, Léopold monte à bord d’une calèche avec Belliard et entame son trajet pour rejoindre la Belgique. Une escorte l’accompagne, choisissant de rejoindre la frontière par le chemin le plus direct, en longeant la plage et passant par Dunkerque et Gravelines. Le convoi traverse officiellement la frontière à 11 heures, se retrouvant alors dans le petit village d’Adinkerque, qui aujourd’hui fait partie de la commune de La Panne.
Le convoi s’arrête à La Panne, et Léopold pose pour la première fois le pied sur le sol belge depuis son élection. Une délégation l’attend : membres du Congrès national, ministres et élus locaux. Des mains de Pauline, la fille de Louis-Auguste Ollevier, un notable de Furnes, la ville voisine, il reçoit des fleurs et un blason avec l’inscription À Léopold, la Belgique reconnaissante. Il sera d’abord reçu à l’auberge De Pelikaan et rejoindra Furnes.
À Furnes, Louis-Auguste Ollevier accueille chez lui le futur roi et quelques invités. Le notable met les petits plats dans les grands. Au menu : champagne, homard, crabe, sols de Nieuport et des coqs de Veurne-Ambacht. Pour le dessert : un grand gâteau de riz brun doré. Léopold remercia son hôte : «Monsieur, les Flamands ont mis le soleil sur table ».
Accueilli par la foule amassée sur les places des villages qu’il traverse, le convoi arrive à Ostende. L’attendent les évêques de Gand et Bruges. Sur la Grand Place d’Ostende est organisée une représentation de la chambre de rhétorique ainsi que d’une association de tir à l’arc.
18 juillet 1831
Le lendemain, le 18 juillet, il quitte Ostende et se rend à Bruges. Il y est accueilli par un prêtre également membre du Congrès. Il poursuit immédiatement son entrée, passant par Maldegem et Eeklo, pour rejoindre Gand. Léopold tenait à s’y rendre malgré les conseils de ses proches. Gand comptait de nombreux partisans de Guillaume 1e. L’entrée se fit pourtant sans grandes esclandres. Il visita la cathédrale Saint-Bavon et fit un don de 10 000 florins aux pauvres de la ville. Il passa sa nuit à Gand.
19 et 20 juillet 1831
Le 19 juillet, Léopold entame la dernière étape de son voyage et rejoint Bruxelles via Alost et Asse. Le gouverneur de la province de Brabant l’accueille lorsqu’il arrive dans sa province, dont Bruxlles faisait partie, et il est directement dirigé vers château de Laeken. Laeken est alors considéré à l’époque comme en bordure de Bruxelles. Dans sa future résidence, l’attendent le régent Érasme-Louis Surlet de Chokier, les membres du gouvernement et ceux du Congrès national.
Le 20 juillet, il prit possession des lieux et la journée fut dédiée à prendre connaissance du programme du lendemain. À 20 heures, toutes les cloches de Bruxelles se mirent à sonner et 101 coups de canon furent tirés. De quoi annoncer de grandioses festivités pour le lendemain.
21 juillet 1831
La Belgique n’ayant connu jusqu’ici que des souverains étrangers, une tradition voulait que la première arrivée du monarque sur le territoire brabançon soit honorée par une Joyeuse entrée. Philippe III de Bourgogne y avait eu droit en 1430, Charles Quint ou encore les archiducs Albert et Isabelle y avaient eu droit en leur temps. Cette cérémonie, qui est d’ailleurs toujours organisée aujourd’hui à chaque début de règne, était également prévue pour Léopold.
C’est ainsi que la Joyeuse entrée débuta à 10 heures, le 21 juillet, lorsqu’un comité arriva au château de Laeken et invita le futur roi à le suivre jusqu’au centre de Bruxelles. Léopold revêt le costume de général de l’armée belge, monte seul sur son cheval et quitte Laeken à 11 heures, entouré d’une escorte royal.
Il fait une halte à Molenbeek-Saint-Jean, où on lui offre un verre de vin, et passe officiellement la Porte d’Anvers, à 11 heures 30. Il s’agit d’une des portes d’entrée dans Bruxelles, où symboliquement le bourgmestre Nicolas Jean Rouppe lui remit les clés de la ville. Un cadeau qu’il refusa, Rouppe ayant été élu bourgmestre de Bruxelles pendant la période napoléonienne.
Le cortège traverse Bruxelles en empruntant la rue Neuve, la place de la Monnaie, remontant vers la place de la Madeleine jusqu’au Mont des Arts. Enfin, Léopold arrive sur la place Royale. Tout au long du parcours, la foule acclame le futur roi et des drapeaux noir-jaune-rouge sont aux balcons de toutes les fenêtres.
Sur la place Royale, devant la Cathédrale Saint-Jacques-sur-Coudenberg est installée une tribune. Autour de la place sont érigés différents prestigieux édifices de style néo-classique, appelés à l’époque des hôtels, et appartenant à des notables de la ville. Plus tard, la plupart de ses hôtels seront utilisés pour y installer des institutions publiques ou rachetés par des membres de la famille royale.
Cette place, située au sommet d’une colline surplombant la Senne, est hautement symbolique. Pendant des siècles, elle fut le siège du pouvoir des ducs du Brabant. Un château y avait été construit, vraisemblablement au 11e siècle, pour les comtes qui régnaient sur la région. C’est surtout pendant la période des ducs de Bourgogne, qui possédaient le duché de Brabant, que l’on fit construire de nouvelles ailes à l’édifice, qui sera connu comme le palais de Coudenberg. Résidence royale pour les souverains de passage, l’immense palais de Coudenberg sera totalement détruit lors d’un incendie en 1731. Un siècle plus tard, c’est sur cette place, à l’emplacement où se trouvait le prestigieux palais, que fut organisée la prestation de serment de Léopold 1e.
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La prestation de serment de Léopold 1e
Dès 8 heures du matin, la foule s’amassait sur la place Royale, devant cette tribune richement décorée. À 10 heures, le Congrès national s’est réuni pour la dernière fois au Palais de la Nation, à 750 de mètres de là. Le régent Surlet de Chokier arrive à peine à prendre la parole devant l’assemblée tellement il est ému. Pendant ce temps, les Belges chantent déjà La Brabançonne, La Marseillaise et La Parisienne sur la place, en attendant les festivités. Quand le Congrès est informé que Léopold a quitté Laeken, les parlementaires se mettent en marche vers la place Royale où ils sont accueillis par des clameurs de joie. Ils s’installent sur la tribune, au centre de laquelle un trône est prévu pour le Léopold.
Un peu après 13 heures, la foule crie « Vive le roi ! ». Le cortège arrive sur la place Royale, Léopold en tête sur son cheval. Il descend de sa monture, monte les marches de la tribune et s’assied sur une chaise ordinaire, posée à côté du trône. Derrière lui sont installés les membres du gouvernement et à côté de lui, les dignitaires par ordre protocolaire.
La cérémonie débute par le président du Congrès national De Gerlache, qui donne immédiatement la parole au régent Surlet de Chokier. Le régent prononce un discours d’adieu, dans lequel il fait le bilan de sa régence, puis il démissionne officiellement de son poste de régent. Il remet son pouvoir entre les mains du Congrès national et c’est au tour de De Gerlache de prononcer un discours.
Le vicomte Charles Hippolyte Vilain XIIII, membre du Congrès national, lit la nouvelle Constitution belge. Et le secrétaire du Congrès, Jean-Baptiste Nothomb, lit le serment solennel que devait prêter le souverain. À son tour, Léopold s’est levé et a prononcé en français : « Je jure d’observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ». Cette phrase est toujours la même aujourd’hui, mais elle est à présent prononcée dans les trois langues officielles du pays, à chaque début de règne.
Après avoir prêté serment, Léopold, à présent reconnu comme premier roi des Belges, est retourné s’asseoir, cette fois-ci sur le trône. La foule se mit à crier et on put entendre de la musique accompagner la foule en liesse. Une fois le calme revenu, assis sur le trône, le roi a lu son premier discours, dans lequel il a assuré que sa seule ambition serait de voir le peuple belge heureux. À la fin de son discours, la cérémonie prit fin.
C’est à pied que le nouveau roi rejoignit pour la première fois son bureau, au Palais royal. Celui-ci est situé juste derrière la place Royale. Dès 17 heures, il reçut en audience par groupes, les membres du Congrès national. Le 17 mai 1890, on fit officiellement du 21 juillet, le jour de la fête nationale belge. En 1958, l’architecte Victor Martiny fit construire un monument sur la plage de La Panne, là où Léopold mit pour la première fois les pieds sur le sol belge, après avoir traversé la frontière française.