Folke Bernadotte : le neveu du roi de Suède qui sauva des milliers de juifs et fut assassiné à Jérusalem

Le prince Julian de Suède, né le 26 mars 2021, porte comme troisième prénom celui de Folke. Folke est un hommage à un éminemment membre de la famille, Folke Bernadotte, comte de Wisborg. Folke a joué un rôle déterminent durant la Seconde Guerre mondiale et a sauvé la vie de dizaines de milliers de juifs et prisonniers de toutes confessions. Nommé médiateur pour les Nations Unies en Israël, Folke Bernadotte est mort assassiné à Jérusalem.

Folke Bernadotte (gauche) photographié lors d’un échange de prisonniers australiens durant la guerre (Photo : with the permission of the Red Cross International)

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L’hommage à Folke Bernadotte

La famille royale de Suède a un goût particulier pour les hommages à travers les prénoms. À la naissance du prince Julian, troisième fils du prince Carl Philip et de la princesse Sofia, l’enfant a reçu le titre de duc de Halland. Il s’agit d’un hommage non déguisé au prince Bertil, dernier détenteur du titre, qui entretenait une relation particulière avec son petit-neveu, le prince Carl Philip. Ce dernier avait déjà rendu un hommage à son grand-oncle, en donnant Bertil comme quatrième prénom à son fils ainé, le prince Alexander.

C’est un autre membre de la famille qui est mis en lumière grâce au troisième fils du prince Carl Philip. Le prince Julian porte aussi les prénoms de Herbet et Folke. Ce dernier fait sans aucun doute référence à Folke Bernadotte, petit-fils du roi Oscar II. La princesse héritière Victoria, sœur du prince Carl Philip, avait déjà rendu hommage à l’épouse de Folke Bernadotte en choisissant le prénom d’Estelle pour sa fille ainée, née en 2012. La princesse Estelle, future reine de Suède, porte le prénom de l’épouse du comte Folke.

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Le prince Julian de Suède porte aussi le prénom de Folke, en hommage à Folke Bernadotte (Photo : SAR le prince Carl Philip)

Un membre issu de la branche déchue de la famille royale

En 1888, le prince Oscar de Suède, deuxième fils du roi Oscar II épousa malgré le désaccord de son père, Ebba Munck af Fulkila. Ebba était une issue d’une famille de la petite noblesse suédoise. Son père était un noble colonel de l’armée et sa mère était baronne. Bien placée dans la société suédoise, Ebba avait obtenu le poste de dame de compagnie de la princesse héritière Victoria.

Le prince Oscar s’était épris de la dame de compagnie de sa belle-sœur, l’épouse de son frère ainé, Gustave. Une honte pour le roi Oscar II, qui ne pouvait tolérer une telle relation pour son fils. Mais Oscar ira jusqu’au bout par amour et se mariera avec Ebba. La sentence fut tout aussi brutale pour le prince Oscar. Son père lui retira son titre de prince de Suède et accepta de lui octroyer un titre inédit, celui de prince Bernadotte.

Le prince héritier Oscar et la Sophia de Nassau en 1865. Ils deviendront roi et reine de Suède en 1872. Ici photographiés avec leurs quatre fils : Gustave (futur Gustave V), le prince Oscar (futur prince Bernadotte, comte de Wisborg), le prince Carl et le prince Eugén (Photo : domaine public)

Outre le prince héritier Gustave, futur roi Gustav V, les autres fils du roi Oscar II avaient compris la leçon. Pour qu’il ne leur arrive pas la même sanction, ils durent épouser une femme de leur rang. Le prince Carl épousera la princesse Ingeborg du Danemark, et seront les parents notamment de la princesse Astrid, qui deviendra reine des Belges. Quant au prince Eugén, que l’on dit homosexuel, il préféra ne pas contracter de mariage de convenance et mourut célibataire.

Le prince Oscar est le premier membre de la famille royale (d’autres connaitront le même sort à d’autres époques et générations) à être privé de son titre de prince de Suède. En 1892, l’oncle du prince Oscar, le grand-duc Adolphe de Luxembourg (frère de Sophia de Nassau devenue reine de Suède), lui conféra un titre luxembourgeois. Adolphe créa le titre nobiliaire de comte de Wisborg pour son neveu et ses descendants, en référence à un ancien château suédois.

L’ancien prince Oscar de Suède, devenu prince Oscar Bernadotte et Ebba Munck af Fulkila, comte et comtesse de Wisborg (Photos : domaine public)

Extrêmement religieuse, la comtesse Ebba de Wisborg avait partagé sa foi avec son époux. Ils élèveront leurs 5 enfants dans la foi chrétienne, mettant la charité au centre des valeurs de leur éducation. Oscar et Ebba sont les parents de la comtesse Maria, du comte Carl Oscar, de la comtesse Ebba, de la comtesse Elsa et du comte Folke.

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La charité de Folke Bernadotte

Folke Bernadotte est né le 2 janvier 1895. Petit dernier de la famille, il vécut et grandit à la Cour de Suède, bien que ses parents avaient été dynastiquement écartés de la famille. Petit-fils du roi Oscar II, son oncle Gustave monta sur le trône en 1907.

Les parents de Folke l’avaient éduqué dans la charité chrétienne. Sa mère, la princesse Ebba Bernadotte, comtesse de Wisborg, assurait le patronage de plusieurs associations chrétiennes à vocation sociales, comme Les Amis de la mission laponne ou présidait le conseil d’administration de la Société chrétienne pour les jeunes femmes. Le jeune Folke, une fois ses études terminées rejoignit l’armée, comme il était de coutume pour un membre de la famille royale.

Officier de cavalerie, promu lieutenant en 1918, puis major quelques années plus tard, il accepta aussi d’assurer des patronages et d’accorder son temps à des associations, en tant que membre actif de la famille royale, durant le règne de son oncle. Engagé auprès des mouvements de jeunesse et lui-même scout, on lui confia la direction des Scouts de Suède en 1937.

Le comte Folke Bernadotte de Wisborg, photographié en 1938 (Photo : ZUMA Press, Inc. / Alamy / Abaca)

Le comte de Wisborg a sauvé des dizaines de milliers de juifs et prisonniers

À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Folke Bernadotte eut l’idée d’inclure les scouts dans la stratégie de défense de la Suède. Les scouts suivirent des entrainements et des formations d’assistance médicale. Son implication dans la stratégie de défense fut doublée lorsqu’en 1943, il fut aussi désigné vice-président de la Croix-Rouge de Suède, permettant ainsi à renforcer le travail d’assistance médicale à l’approche de la guerre.

Dès 1943, le comte Folke aida à faire passer des milliers de juifs en Suède, grâce à la Croix-Rouge, dirigeant plusieurs missions de sauvetage. Il tenta aussi de négocier une armistice avec les Alliés, en vain. Il organisa l’échange d’une dizaine de milliers de prisonniers, qui transitaient par la Suède.

Le comte Folke fut choisi par Himmler pour passer un message aux Alliés et au gouvernement suédois. Folke Bernadotte rencontra Heinrich Himmler, qui lui proposa la reddition de l’Allemagne, à condition qu’elle puisse continuer à combattre l’Union soviétique. Cette proposition, inconnue d’Hitler, ne fut pas acceptée bien que Folke passât le message comme demandé.

Vers la fin de la guerre, Folke réussit à négocier le transfert de dizaines de milliers de juifs prisonniers des camps de concentration vers la Suède. 8000 juifs danois furent envoyés vers la Suède. 7000 autres prisonniers français, tchèques, polonais, américains, britanniques, chinois et argentins, de toutes confessions, ont été libérés. Des femmes, en provenance du camp de concentration de Ravensbrück, furent aussi envoyées vers la Suède.

Selon Newsweek, 14 000 prisonniers supplémentaires ont été sauvés des camps après la capitulation des Nazis. Dans les dernières semaines, le comte Folke a encore permis le sauvetage de plusieurs milliers de femmes de Ravensbrück.

Les opérations de sauvetage, réalisées avec l’aide de la Croix-Rouge, sont connues dans l’histoire comme les missions des Bus blancs, en référence aux véhicules utilisés pour transporter les prisonniers. Ces actions de Folke Bernadotte lui valurent d’être reconnu comme un héros dans son pays. Actuellement, ces opérations sont parfois critiquées, car des découvertes historiques récentes indiquent que ces missions de sauvetage ont été réalisées au détriment d’environ 2000 autres prisonniers malades, qui furent transférés dans d’autres camps pour permettre l’évacuation de Scandinaves.

Les fameux bus blancs de la Croix-Rouge transportent des prisonniers vers la Suède (Photo : domaine public)

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Le médiateur des Nations Unies en Israël

Le 29 novembre 1947, le plan de partage de la Palestine est voté, prévoyant la création de deux états distincts, un État juif et un État arabe. Le 14 mai 1948, l’État d’Israël est fondé de façon unitaire, provoquant les incidents qu’on connait encore aujourd’hui. Les Nations Unies nomment Folke Bernadotte médiateur. Il est envoyé en Israël, avec pour mission de faire cesser les combats et de superviser la mise en application d’un partage territorial.

Folke Bernadotte devient le premier médiateur des Nations Unies de l’histoire. Le 27 juin 1948, Folke Bernadotte propose un plan de partition lors des négociations. Il présente une carte où les juifs n’occuperaient plus que 20% de la Palestine et l’État arabe serait absorbé par la Transjordanie. Le comte Folke devient immédiatement la cible des critiques de la presse, de la population, mais aussi de radicaux.

En juillet 48, il rencontre des membres du Lehi (aussi appelé Stern en anglais). Ce groupe paramilitaire sioniste déclara publiquement son intention de tuer Folke Bernadotte, après la rencontre. Le 1e août, les dirigeants de Lehi adressent une mise en garde publique aux Nations Unies et à tout autre étranger qui souhaite interférer dans la politique du pays.

Le 16 septembre 1948, Folke Bernadotte propose un nouveau plan de partage. Plusieurs territoires sont offerts aux juifs mais Jérusalem passerait sous le contrôle international. Le comte Folke met aussi en avant la nécessité de protéger la population arabe présente sur le territoire. Ce nouveau plan est refusé.

L’assassinat de Folke Bernadotte

Le lendemain, le 17 septembre 1948, Folke Bernadotte visite des lieux aux alentours où pourraient être construits les futurs quartiers généraux. Son convoi de trois voitures est arrêté à un checkpoint, dans le quartier de Katamon à Jérusalem. Folke Bernadotte a refusé de porter son gilet pare-balles. Il est assis à l’arrière de la voiture, en compagnie de son assistant et chef de supervision de la trêve, le Suédois Åge Lundström, ainsi que du Français André Sérot, chef des observateurs des Nations Unies.

Après avoir passé le checkpoint, les trois voitures sont arrêtées par une jeep, de laquelle sortent trois hommes armés, vêtus de l’uniforme de l’armée. Ils tirent 6 rafales de mitraillette Schmeisser sur le convoi et tuent Folke et Sérot.

Dès le surlendemain, le Lehi, suspecté d’avoir commandité l’assassinat est dissous par une loi afin de calmer l’opinion mondiale. Plusieurs centaines de membres de l’organisation sont arrêtées. L’un des dirigeants, Nathan Yalin Mot est condamné à de la prison en 1949 pour appartenance à un groupe terroriste, et non pour assassinat. Il est relâché au bout de deux semaines et est élu à la Knesset. Tous les membres de l’organisation ont bénéficié d’une amnistie générale, y compris Yitzhak Ben-Moshe, « Gingi » Zinger et Yehoshua Cohen, les trois tireurs ayant tué Folke Bernadotte. Yehoshua Cohen deviendra le garde du corps personnel de Ben Gourion dans les années 50. Yitzhak Shamir, à la tête du Lehi lors de l’assassinat, probablement l’un des commanditaires, est devenu Premier ministre d’Israël en 1983 et 1986.

Ralph Bunch sera nommé successeur de Folke Bernadotte en tant que médiateur. Il parvint à négocier un cesser le feu avec l’île de Rhodes et recevra le prix Nobel de la paix en 1950. En 1998, Folke Bernadotte a reçu à titre posthume la médaille Dag Hammarskjöld des Nations Unies, réservée habituellement aux membres des Nations Unies morts au combat. Il est repose auprès de son père, le prince déchu Oscar Bernadotte, dans un cimetière au nord de Stockholm.

Le tombeau du prince Oscar Bernadotte et de sa famille, où repose aussi Folke Bernadotte, au nord de Stockholm (Photo : domaine public)

La famille de Folke Bernadotte

Folke Bernadotte avait épousé la riche américaine Estelle Romaine Manville en 1928. Ensemble, ils ont eu 4 fils : le comte Gustaf, le comte Folke, le comte Frederik et le comte Bertil. Gustaf est mort à 6 ans et Frederik n’a pas survécu à sa naissance. Folke et Bertil sont devenus parents après la mort du comte. Ses 7 petits-enfants ne l’ont donc jamais connu. Son épouse s’est remariée en 1973. Très appréciée à la Cour de Suède, Estelle Mainville, connue comme Estelle Bernadotte, comtesse de Wisborg, était aussi engagée que son époux. Elle fut membre du comité de la Croix-Rouge internationale et responsable des mouvements de jeunesse féminins.

Estelle Bernadotte et ses deux fils, Folke et Bertil, aux funérailles de Folke Bernadotte en 1948 (Photo : domaine public)

En 2008, le magazine Fokus révèle que Folke Bernadotte a eu une fille illégitime, Jeanne Matthiessen, avec la meneuse de revue Lillie Ericson. Cette relation eut lieu avant son mariage et la Cour royale de Suède avait fait tout son possible pour empêcher le mariage d’amour.

Folke était très amoureux de Lillie mais fut contraint à rompre ses fiançailles, et la dédommagea financièrement, lui faisant alors la promesse de se racheter en faisant du bien à l’humanité. Lillie Ericson épousa plus tard l’industriel Carl Matthiessen, qui mit Jeanne, la fille de son épouse à l’écart du besoin. Jeanne sera appelée à la Cour de Suède à sa majorité et recevra une nouvelle somme d’argent en échange de son silence sur ses origines. Lillie est décédée en 1981, et Jeanne dix ans plus tard. Aujourd’hui, 10 à 15 descendants de Folke et Lillie sont en vie.

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Nicolas Fontaine

Rédacteur en chef

Nicolas Fontaine a été concepteur-rédacteur et auteur pour de nombreuses marques et médias belges et français. Spécialiste de l'actualité des familles royales, Nicolas a fondé le site Histoires royales dont il est le rédacteur en chef. nicolas@histoiresroyales.fr