La reine Margrethe II a succédé à son père, le roi Frédéric IX, le 14 janvier 1972, il y a tout juste 50 ans. En devenant reine de Danemark, Margrethe II a définitivement cassé les codes et certaines traditions protocolaires, ne serait-ce que par le fait qu’aucune femme n’avait dirigé le pays depuis le début du 15e siècle. Mais elle a également mis fin à une guerre de titres qui existait depuis des siècles entre les souverains danois et suédois. Elle n’a pas souhaité hériter de la longue liste de titres que portait son père.
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La reine Margrethe II de Danemark et le roi Carl XVI Gustaf de Suède ont abandonné de nombreux titres
Le Danemark est la plus ancienne monarchie au monde encore en exercice, après le Japon, et la plus ancienne en Europe. Des rois dirigeaient déjà des provinces de cette région dès le 8e siècle. Vers 804, le roi Godfred parvient déjà à réunir la plus grande partie de ces territoires sous un seul royaume. C’est sous le règne de Gorm l’Ancien puis d’Harald 1e vers 960 qu’on considère le royaume de Danemark unifié. Le système monarchique était électif jusqu’au 17e siècle, durant le règne de Frédéric III, un roi de la dynastie d’Oldenbourg. Le système héréditaire a alors été adopté. La famille royale actuelle descend toujours des comtes d’Oldenbourg. La branche ainée étant éteinte, la famille descend de la branche cadette de Glücksbourg, elle-même issue de la branche de Schleswig-Holstein.

Au fil des siècles, le territoire du Danemark a changé et ses alliances monarchiques également. La plus connue est l’Union de Kalmar, formée en 1397 lors du règne de la reine Marguerite 1e, seule reine de l’histoire du Danemark avant Margarethe II. De par ses origines, son mariage et ses décisions politiques, Marguerite est devenue souveraine du Danemark, de la Norvège et de la Suède. Cette union des trois royaumes est connue comme l’Union de Kalmar. L’Union va perdurer jusqu’en 1523, quand les Danois sont priés de libérer la Suède. L’Union va continuer (sans la Suède) entre la Norvège et le Danemark jusqu’en 1814.
Par ailleurs, le Danemark-Norvège a également obtenu des territoires d’outre-mer, comme l’Islande, les îles Féroé et le Groenland qui historiquement étaient norvégiens. Lors de la dissolution de l’union Danemark-Norvège en 1841, c’est le Danemark qui hérite de la souveraineté de ces territoires, la Norvège étant politiquement très faible à l’époque. Depuis 2000 pour les îles Féroé et depuis 2009 pour le Groenland, ces territoires sont des pays constitutifs du royaume de Danemark. Leur chef d’État reste le souverain danois mais ils ont leur propre parlement, gouvernement, Premier ministre et une autonomie relative.
L’Islande, pour sa part, a pris son indépendance totale en 1918, puis s’est définitivement détachée de la Couronne danoise en 1944. Le roi Christian X, grand-père de Margrethe II, fut le dernier roi d’Islande.
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Une reine de Danemark «par la grâce de Dieu»
Il y a une longue liste de titres que la reine Margrethe II a choisi d’abandonner en montant sur le trône en 1972. Il faut dire que ses titres étaient disputés avec le souverain suédois, qui cumulait cette liste de titres à celui de roi de Suède depuis la séparation de l’Union de Kalmar. Le roi Carl XVI Gustaf, qui est monté sur le trône Suède en septembre 1973, soit un an et demi après Margrethe II, a décidé lui aussi d’abandonner ces titres.
Tout d’abord, le titre officiel de la reine Margrethe II est aujourd’hui : «Margrethe II, par la grâce de Dieu, reine de Danemark». «Par la grâce de Dieu», qui rappelle le lien au divin accordé à la fonction, peut sembler désuet et en désaccord avec le système monarchique constitutionnel. Il est pourtant toujours d’usage aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et au Liechtenstein. Les autres monarques européens ont abandonné la formulation.
On remarque aussi que le titre n’est pas «reine du Danemark» mais «reine de Danemark». Il s’agit ici d’une particularité propre à la traduction française. Nous avons consacré un article détail à ce sujet, ici. De plus en plus souvent, la presse française rectifie cette particularité en écrivant «reine du Danemark».

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Roi de Danemark, des Vandales et des Goths, duc du Schleswig, de Holstein, de Stormarn, de Dithmarse, de Lauenbourg et d’Oldenbourg
Le titre complet que portait encore le roi Frédéric IX jusqu’à son décès en 1972 était : « roi de Danemark, des Vandales et des Goths, duc du Schleswig, de Holstein, de Stormarn, de Dithmarse, de Lauenbourg et d’Oldenbourg». D’autres titres avaient déjà été abandonnés par le passé, comme duc de Delmenhorst ou prince de Rügen, et bien entendu ceux de roi d’Islande ou roi de Norvège à l’indépendance de ces pays.
Pourquoi Margrethe II n’a pas souhaité les garder ? Ces titres pouvaient paraitre désuets et diplomatiquement embarrassants. On peut aussi imaginer que justifier le port de ces titres par une femme semblait compliqué. La plupart des titres de noblesse germaniques sont uniquement transmissibles en ligne masculine. Les titres dont il est question ici sont d’origine germanique. Porter un titre se rattachant à une ville située dans un autre pays (l’Allemagne) peut aussi sembler diplomatiquement compliqué entre deux pays voisins, dont la dernière partition de la frontière date d’il y a tout juste 100 ans.
Le Danemark s’est formé en réunissant au fil des siècles des territoires morcelés. Les Danois ont la réputation d’être des conquérants, depuis l’époque des Vikings. Accumuler ces titres rappelait la souveraineté légitime sur l’ensemble des territoires mais aussi des populations et des diversités tribales ou claniques. Le titre de roi des Vandales dont la traduction (Vendernes, en danois) diffère parfois, fait référence à une population médiévale installée dans les territoires slaves de la côte sud de la mer Baltique.
Les rois danois se sont proclamés Rex Sclavorum (roi des Vandales) dès le 12e siècle. Le titre est accompagné par celui de Rex Gothorum (roi des Goths). Au Danemark, Valdemar IV a adopté le titre de roi des Goths en 1362, après avoir conquis le Gotland, une région située aujourd’hui en Suède, qui porte ce nom en référence aux Goths. Traditionnellement, on explique que les Goths étaient originaires de la région du Gotland. Les rois de Suède portaient donc déjà le titre de roi des Goths depuis que le Gotland avait été absorbé dans le royaume.
Les titres ducaux des rois de Danemark font tous référence à un ancien fief gagné par le Danemark. Le duc de Schleswig est un titre important puisqu’il fait référence à un territoire situé aujourd’hui dans le Jutland du Sud, et qui a été récupéré (la moitié seulement), il y a 100 ans. Après avoir perdu le Schleswig, le Danemark a récupéré la moitié nord de ce territoire suite à un référendum. La population du nord a souhaité revenir au Danemark alors que la partie sud a souhaité rester en Allemagne. En 2021, la reine Margrethe II a participé à de nombreuses célébrations qui marquaient le 100e anniversaire de la réunification du Schleswig au Danemark (qui a eu lieu en 1920).

De 1058 à 1866, le duché de Schleswig était un territoire semi-indépendant, qui ne faisait pas partie du royaume de Danemark mais sous la possession du souverain danois. Cette sorte d’ingérence danoise a pris fin en 1866, lorsque le Schleswig a rejoint la Prusse. Puis un demi-siècle plus tard, comme expliqué précédemment, en 1920, la partie nord a choisi de rejoindre le Danemark, qui par la même occasion a considérablement agrandi son territoire.
Le titre de duc de Holstein, territoire voisin au sud du Schleswig, et actuellement en Allemagne, connait à peu près la même histoire que le Schleswig. Il n’a toutefois pas rejoint le Danemark. Son histoire est légèrement plus compliquée, car le Danemark en avait fait son union personnelle de 1474 à 1544 et de 1774 à 1864. Entre ces périodes, le territoire avait été subdivisé en une multitude de petits duchés offerts aux fils cadets de rois danois. Les branches vont prendre les noms de Schleswig-Holstein-Sonderbourg, Schleswig-Holstein-Gottorp, Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Beck. Ce dernier changera de nom en Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg, en 1825. Les noms des subdivisions font chaque fois référence à des fiefs ou des châteaux situés sur leur territoire.
Par différents jeux politiques, les différentes branches connaitront des destins différents. La branche de Gottorp est devenue souveraine en Russie. Charles-Ulrich, duc de Schleswig-Holstein-Gottorp deviendra le tsar Pierre III en 1762. Adolphe-Frédéric de Holstein-Gottorp, petit-fils d’un duc de Holstein-Gottorp, deviendra lui, roi de Suède en 1751.
En 1774, le roi de Danemark, qui possédait aussi le titre de comte d’Oldenbourg, a échangé avec son lointain cousin, le tsar Paul 1e (fils de Pierre III) le titre de duc de Holstein-Gottorp, qui est redevenu un titre du souverain danois. Bien que le territoire de Holstein soit rattaché à la Prusse, puis à l’Allemagne, depuis 1866, les rois danois ont continué à porter le titre de duc de Holstein, jusqu’à Margrethe II en 1972.
Les titres de duc de Stormarn et de Dihmarschen font référence à deux petits territoires qui ont été conquis par les rois danois au 16e siècle. Ces territoires sont tous les deux situés en Allemagne.
Le duché de Lauenburg a été fondé en 1269. Il est situé au sud du Holstein, en Allemagne actuelle. Le petit duché a connu une histoire mouvementée et de nombreuses dynasties ont possédé le territoire, ainsi que différentes puissances, y compris la France de 1803 à 1805 et de 1810 à 1814. À cette date, le Danemark a récupéré le duché. Le roi de Danemark va perdre le territoire peu de temps après, en 1864, lors du conflit entre la Prusse et le Danemark concernant le Schleswig-Holstein. Une fois de plus, malgré la perte du territoire, le titre de duc de Lauenberg est resté jusqu’en 1972.
Enfin, le dernier titre, peut-être le plus symbolique, est celui de duc d’Oldenbourg. Il fait référence au tout premier titre de la dynastie actuelle. En 1448, le comte Christian VII d’Oldenbourg, qui régnait sur le petit comté d’Oldenbourg (mais descendant par plusieurs branches d’anciens rois danois) a été désigné comme nouveau roi du Danemark. Il sera connu comme Christian 1e. Le comté d’Oldenbourg (situé à 50 km à l’est de Brême et 150 km à l’est de Hambourg) était un territoire souverain et indépendant depuis 1088, sur lequel régnaient les ancêtres de Christian depuis toujours.


Une fois devenu roi de Danemark, Christian (Christian 1e au Danemark, et Christian VII à Oldenbourg) ne va pas absorber le comté d’Oldenbourg (géographiquement très distants). Il abandonne un an plus tard le comté, au profit de son frère Gérard. Les descendants du comte Gérard se succèdent à la tête du comté pendant plusieurs générations, jusqu’au comte Antoine-Gonthier d’Oldenbourg, qui décède sans héritier. Sa succession passe à son plus prestigieux cousin, le roi Frédéric III de Danemark, en 1667. À partir de cette date, le comté d’Oldenbourg est une possession personnelle du roi de Danemark.

En 1773, comme expliqué précédemment, le traité de Tsarkoïe Selo prévoit un échange de territoires entre le Danemark et la Russie. L’empereur Paul 1e récupère le comté d’Oldenbourg et en échange, le roi Christian VII récupère le duché de Holstein-Gottorp. Avant de céder Oldenbourg à l’empereur Paul 1e , le comté est élevé au rang de duché. L’empereur Paul 1e le lègue rapidement, en 1774, à son cousin, Frédéric-Auguste de Holstein-Gottorp. Ce dernier n’étant pas occupé par des fonctions, il peut physiquement régner sur le duché d’Oldenbourg, ce qui aurait été impossible pour l’empereur de Russie.

Après le Congrès de Vienne, le duché d’Oldenbourg est élevé au rang de grand-duché et cette élévation devient effective en 1829. Le grand-duché d’Oldenbourg restera un territoire indépendant et souverain jusqu’à l’abolition de la monarchie de l’Empire allemand en 1918. Une fois de plus, bien que le comté (devenu rapidement duché) ait été cédé à la Russie, les rois danois ont gardé le nom d’Oldenbourg dans leur titulature.